11e Dimanche T.O. ; Mt9,36-38.10,1-11

« Priez le Maître de la moisson »

Lassitude, découragement, isolement grandissant : voilà bien ce que vivent beaucoup de chrétiens à notre époque. Les repères familiers ont disparu, les activités communes qui rassemblaient le peuple de Dieu ont cessé pour la plupart, les possibilités de ressourcement spirituel se font de plus en plus rares, une certaine aisance des rapports fraternels s’éloigne, chassée par les soucis du coude à coude quotidien ; et chacun va devant soi, gardant au cœur sa foi au Christ et son espérance, mais prenant son bien où il peut, réagissant selon ses possibilités aux tentations de l’égoïsme et de la jouissance, s’orientant de son mieux sans pouvoir trouver de guide.

Le troupeau du Seigneur est inquiet ; chaque chrétien souffre de faire face à son destin dans une relative solitude, et de ne plus retrouver les fortes solidarités d’autrefois. Et c’est au milieu de ces inquiétudes ou de ce désarroi que le Christ nous rejoint aujourd’hui , nous qui sommes sa communauté, selon les promesses qu’il nous a faites par la voix d’Isaïe :«  »Le Seigneur se penchera vers toi … dès qu’il t’aura entendu, il te répondra… Celui qui t’instruit ne se dérobera plus, et tes yeux le verront !« Que vient-il nous dire ? Tout d’abord qu’il nous comprend et qu’il a pitié de nous, de cette pitié forte qui recrée et qui sauve : »Voyant les foules, Jésus eut pitié d’elles".. Mais le Christ ne se contente pas de nous assurer de sa présence, il nous force à relever la tête, à regarder au-delà de nos misères, personnelles, familiales ou communautaires, il nous demande d’ouvrir les yeux : la moisson est immense. De la Sibérie à la Terre de Feu des centaines de millions d’hommes et de femmes attendent un message d’espérance pour le présent et pour l’au-delà de la mort, et ce message, c’est nous qui l’avons reçu, c’est nous qui en sommes porteurs et responsables.

La moisson est disproportionnée à nos forces, c’est clair ; et évidemment le Seigneur ne nous demande pas d’être présents partout à la fois. Mais il nous demande d’être vraiment présents là où nous sommes, là où il nous a placés pour que nous portions du fruit. Là où nous sommes, il s’agit de vivre la solidarité du peuple de Dieu et la mission. Là où nous sommes, il s’agit de moissonner, sans attendre que les orages fassent pourrir la moisson sur pied.

Notez bien que Dieu demande seulement des moissonneurs. C’est lui-même qui a fait les semailles dans le cœur des hommes ; c’est lui qui peut faire grandir chez un homme l’espérance du salut et de la vraie liberté ; c’est lui seul qui sauve le monde. Ce qui nous est demandé, c’est de rentrer de bonne grâce dans le travail de Dieu, et de le prendre tellement à cœur que nous soyons toujours à réclamer de l’aide, de nouveaux bras, de nouveaux cœurs de missionnaires.

Dans cette immense entreprise, qui couvre tous les pays et tous les siècles, Dieu est à la fois le maître d’œuvre et le chef du personnel, et c’est par lui qu’il faut passer nécessairement :« Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ! »

Quand nous prions ainsi le Maître de la moisson, nous lui demandons surtout des ouvriers/ères à plein temps, des hommes et des femmes dont la tâche principale sera de rassembler le peuple de Dieu, mais aussi de réveiller en nous tous les vrais réflexes de la foi et le souci de la moisson, de nous rendre ce cœur ouvert et généreux qui a été le nôtre aux plus belles années, de susciter en nous la joie et l’espérance des moissonneurs.

Car Dieu veut faire de nous non pas un troupeau anonyme, mais un peuple vivant, à la fois libre et organisé pour l’action, à la fois spontané, structuré et efficace. Jésus, de son vivant sur terre, y a pourvu pour l’essentiel en appelant auprès de lui douze responsables, dont la tâche est poursuivie maintenant par l’ensemble des évêques des cinq parties du monde, et par des dizaines de milliers de prêtres, confrontés à une tâche de plus en plus difficile et de plus en plus passionnante.

Les premiers apôtres étaient des hommes bien différents les uns des autres, mais Jésus n’avait pas peur de la diversité. Il y avait Simon, chef d’une petite pêcherie sur le lac ; Matthieu, collecteur d’impôts, compromis malgré lui avec le pouvoir des occupants ; Judas, bon économe, mais près de ses sous ; Simon le Zélote, c’est-à-dire le résistant, l’homme des commandos antiromains. Une seule chose les réunissait, une chose essentielle, ils avaient tout quitté pour suivre Jésus. Et c’est à ces hommes-là, ni pires ni meilleurs que nous, que Jésus a confié sa mission ; Dans un premier temps, il leur a demandé de ne pas dépasser les frontières d’Israël, pour faire leurs premières expériences dans un monde qu’ils connaissaient bien. Mais quand ils eurent reçu l’Esprit Saint à la Pentecôte, leur mission ne connaîtra plus de frontières, et leur mission, c’est la nôtre : comme eux, nous sommes entrés dans le secret du plan de Dieu, comme eux nous savons que le Règne de Dieu est là, force de salut pour le monde, comme eux nous avons reçu gratuitement.

Sans compter ce que nous donnons, sans mesurer ce qui nous en revient, heureux, tout simplement, de répondre à l’appel et joyeux de servir un tel Maître, sommes-nous prêts à donner maintenant, aussi gratuitement que nous avons reçu ?

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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