Accepter le mystère de l’autre (Ho 27° dim. TO 03/10/21)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Gn 2, 18-24 ; Ps 127 (128) ; He 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16

Frères et sœurs, peut-être avez-vous en mémoire la célèbre gravure de Rembrandt, « la pièce aux cent florins » : une multitude d’infirmes et de miséreux convergent vers un Christ rayonnant de compassion. Parmi eux, un vieillard aveugle et une femme âgée, qui le soutient, donnent à voir de manière bouleversante ce que signifie la parole biblique citée par Jésus : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère. Il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. » (Mc 10,6-8 // Gn 2,24) La chair, c’est l’être humain en sa précarité. Le Seigneur constatant que la solitude est dangereuse pour cet être fragile, déclare dans la Genèse : « Je ferai pour lui un secours, comme son vis-à-vis » (Gn 2,18b). L’homme et la femme forment une seule chair dans la mesure où ils assument leur précarité en étant un secours l’un pour l’autre. Dieu offre donc à cet humain quelque peu androgyne (cf. Gn 2,7), une possibilité de relation pour le sauver d’une solitude mortelle. Il lui prend pour cela un côté après l’avoir plongé dans un sommeil profond. Le terme biblique ne désigne pas un os (la fameuse côte d’Adam !), mais bien tout un côté que Dieu enlève à cet humain jusque-là indifférencié pour construire une femme. La torpeur fait qu’aucun des deux partenaires n’a connaissance de sa propre origine, ni de celle de l’autre. En outre, cette création se fait au prix d’une perte, de sorte qu’aucun des deux n’est en définitive complet. La relation doit ainsi se construire moyennant tout à la fois l’acceptation du mystère de l’autre et le renoncement à sa propre complétude.

Le Seigneur présente alors la femme à l’humain comme on fait une offrande. La perte a rendu possible le don de Dieu, qui est sans commune mesure avec ce qui a été pris, puisque ce don sauve l’humain d’un isolement mortel. « Et l’humain se dit : « CELLE-Cl, cette fois, est os de mes os et chair de ma chair. À CELLE-CI il sera crié ’ishshah, "femme", car de ’îsh, "homme", a été prise CELLE-CI. » (Gn 2,23) L’humain émerveillé voit en la femme que le Seigneur lui offre un être de même nature que lui ; elle est lui, dans ce qui fait sa solidité, os de ses os, mais aussi sa caducité, chair de sa chair (cf. Is 40,6s). Elle est pourtant autre que lui comme le suggère la différence entre ’ishshah et ’îsh. Pourtant, cet enthousiasme résonne curieusement. L’homme, en effet, ne s’adresse pas à celle qui lui est présentée, mais parle d’elle à la troisième personne. Sans entrer en dialogue avec elle, il la désigne à trois reprises par un démonstratif « celle-ci ». En déclarant simplement qu’« elle a été prise », il oublie le donateur et transforme le don de Dieu en un acte anonyme de préemption. En définissant la femme comme ce qui a été tiré de lui, la réduisant à être os de ses os et chair de sa chair, il la situe exclusivement en fonction de lui-même, gommant ainsi son altérité : venant de lui, elle lui appartient. Cette mainmise se traduit par le nom qu’il lui donne, ’ishshah se distinguant de ’îsh par une simple désinence. Déjà se manifeste la convoitise qui conduira au refus de la limite imposée par le Seigneur Dieu comme première condition de la vie.

Jésus souligne alors la différence entre le projet de Dieu et ce que les hommes en font en raison de la dureté de leur cœur. L’humain accède à son être créé à l’image et ressemblance de Dieu grâce à cette relation où l’homme se reçoit de la femme comme la femme se reçoit de l’homme dans la commune reconnaissance du don de Dieu. Tel est le dessein du Créateur, mais c’est à l’humain de le réaliser. Pour cela, il doit accepter le mystère de l’autre en renonçant à la prétention de le connaître. Il doit aussi s’interdire de l’instrumentaliser en faisant de lui ou d’elle un moyen de remédier à ses frustrations. Il y a adultère quand l’homme ou la femme change de conjoint parce que le premier ne répond pas à l’image qu’il s’en était fait ou ne vient pas combler son manque. Le désir de posséder l’autre empêche de vivre à vie cette alliance voulue par Dieu, alliance fondée sur la fragilité de la chair et la confiance mutuelle par-delà toute connaissance. Au contraire, la fidélité dans le respect de la liberté de l’autre ainsi que le consentement au manque et à la précarité de la chair ouvrent le chemin d’une communion où chacun se reçoit de l’autre comme un don de Dieu.

Frère Olivier-Marie, ocd - (couvent d’Avon)
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