Dieu se fie-t-il à César ? (Ho 29° dim. TO) - 18/10/20

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année A) : Is 45, 1.4-6 ; Ps 95 (96), 1.3, 4-5, 7-8, 9-10ac ; 1 Th 1, 1-5b ; Mt 22, 15-21

« Quand ils entendirent cette réponse, ils furent remplis d’étonnement. Ils le laissèrent et s’en allèrent. » C’est le verset qui suit notre évangile ! Il y avait en effet de quoi être rempli d’étonnement… Nous sommes malheureusement trop habitués à écouter l’évangile et avons besoin d’en redécouvrir la nouveauté et la force. Pour cela, il nous faut resituer le contexte. Les pharisiens sont à l’époque de Jésus les tenants d’une observance religieuse stricte et sont donc critiques vis-à-vis du pouvoir romain qui occupe Israël. Parmi les plus religieux, les plus zélés, il y a les zélotes qui organisent des attentats contre l’occupant romain et en appellent à une forme de désobéissance civile. En face, nous avons les hérodiens qui soutiennent une politique de compromission avec Rome, ce qui n’est pas sans choquer les plus religieux.

Or les pharisiens veulent prendre Jésus au piège et pour cela osent se mêler à leurs adversaires hérodiens pour coincer Jésus. La question est évidemment binaire : « est-il permis oui ou non de payer l’impôt ? » Soit Jésus répond non et il est assimilé aux dangereux révolutionnaires religieux proches des zélotes, dans la ligne des Macchabées ; soit il répond oui et il peut être accusé de pactiser avec des païens et de ne pas respecter la Loi. Le positionnement est d’autant plus délicat que parmi les Douze, il y a notre évangéliste Matthieu, ancien publicain (collecteur d’impôts donc ‘collabo’) mais aussi Simon le zélote (Mt 10,3-4). Bref, la question peut non seulement faire tomber Jésus mais aussi faire éclater l’unité des disciples qui le suivent…

Pour signifier sa liberté, le Christ commence par dénoncer leur perversité et leur hypocrisie ; ceux-ci l’ont appâté par des compliments vantant la vérité de son discours et sa hauteur de vue face aux partis. Mais ce ne sont que des mots creux qui soulignent leur duplicité. Jésus va en effet prouver qu’il est libre et qu’il ne juge pas selon les hommes… A partir d’une remarque qui semble du simple bon sens, il pose une parole révolutionnaire. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Ce n’est pas parce que cette parole est fameuse qu’elle toujours comprise avec toute sa force ! Jésus opère ici une distinction nouvelle entre le domaine religieux et le domaine politique. Affirmer qu’il y a un espace propre pour César, c’est reconnaître une forme d’autonomie du domaine politique. Tout ne relève pas du domaine religieux : cela est une affirmation typiquement chrétienne et qui a façonné notre Occident.

N’en déplaise aux anticléricaux, ce n’est pas pour rien que la démocratie est née en terre chrétienne. C’est presque impensable par contraste dans d’autres cultures religieuses comme l’Islam où le politique et le religieux sont inséparables. Le Concile Vatican II a beaucoup insisté sur cette distinction en évoquant l’autonomie légitime des réalités temporelles. Le Concile précise que cette autonomie doit être bien comprise : elle ne signifie pas que Dieu ne s’intéresse pas au domaine de César et que celui-ci peut faire n’importe quoi. L’autonomie n’est pas l’indépendance ! Cette autonomie n’est pas non plus une manière d’échapper à un Dieu dangereux … puisque c’est lui-même qui la veut et qui la fonde.

Notre Dieu n’est pas intrusif ; il n’a pas besoin d’occuper tout l’espace pour assurer sa souveraineté. Il consent à se retirer pour nous laisser gérer ce que nous sommes capables de gérer, avec bien sûr notre intelligence à l’écoute de notre conscience et l’assistance de l’Esprit Saint. L’être humain est créé comme intendant des réalités terrestres ; il n’est pas un pantin ni d’ailleurs ne doit être un tyran ; il est responsable devant Dieu de l’usage de sa liberté et des choix qu’il aura posés au long de sa vie. On peut dire que Dieu fait confiance à César au sens où son Esprit peut agir librement dans toute personne de bonne volonté qui écoute sa conscience. C’est un risque que Dieu prend et assume …

Jésus est le Fils du Père et connaît son regard sur l’humain. Lui-même n’est pas venu pour une révolution politique et prendre la place de César. Il est venu pour nous aider à vivre autrement. C’est important de comprendre cela aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans un pays qui se dit chrétien et nous savons que nous devenons une minorité religieuse. Comme toute minorité, nous avons la tentation de bâtir une sorte de contre-culture avec nos communautés, nos écoles, nos lieux de rencontre … et de devenir ainsi une secte qui sent le renfermé et non plus la bonne odeur de l’évangile. Je crois que le pape François est le prophète que Dieu nous envoie pour résister à ce piège du repli. Son encyclique sur la fraternité nous dérange et nous invite à travailler avec notre monde sans créer des ghettos de purs chrétiens.

Déjà le Seigneur avait montré à Israël qu’il pouvait agir par un païen, Cyrus de Perse, pour sauver son peuple. Aujourd’hui, l’Eglise doit accepter de travailler avec des gens qui ne partagent pas sa foi. N’oublions jamais que c’est notamment grâce à des journalistes que l’Eglise a pu commencer un chemin de pénitence et de purification dans le domaine des abus. L’Esprit agit dans l’Eglise mais aussi au-delà. Notre mission est d’opérer un discernement dans la culture contemporaine pour faire la part des choses entre ce qui est compatible avec l’évangile et ce qui ne l’est pas. Il nous faut ainsi dénoncer fermement les dérives bioéthiques de notre temps mais aussi se réjouir par exemple des collaborations possibles dans le domaine écologique.

En ce dimanche de la Mission universelle, nous pouvons nous demander : comment témoigner de notre foi ? Certainement en imitant notre Seigneur dans sa liberté de parole et sa largeur de vue. C’est ainsi que, comme lui, nous provoquerons l’étonnement de ceux qui nous entourent et que certains voudront en savoir plus sur la source de notre liberté intérieure. Et puis, au fond, viendra pour tous un temps où César lui aussi devra rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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