Heureux les riches ? (Ho 26° dim. TO 26/09/21)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Nb 11, 25-29 ; Ps 18 (19) ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-43.45.47-48

"Vous, les gens riches"
Avec les accents des anciens prophètes (comme Amos, Isaïe)…, ou de prophètes plus modernes et mêmes actuels, saint Jacques dénonce l’égoïsme des nantis. En leur temps, certains Pères de l’Église, tels Basile ou Jean Chrysostome avaient fait de même auprès de l’empereur de Constantinople, au risque d’être condamnés à l’exil. On pense spontanément à une parole du Seigneur : « Un riche entrera difficilement dans le Royaume de Dieu ». Il y a ainsi, dans l’Écriture, des textes sur lesquels on préfère ne pas s’attarder. Il en est sûrement de même pour certains reportages télévisés qu’on a hâte de voir se terminer (exilés, réfugiés, enfants mourant de faim à l’autre bout du monde … ou à notre porte). Dimanche dernier déjà (à propos des jalousies et rivalités), saint Jacques avait des paroles dures en s’adressant pourtant à des chrétiens, censés vivre selon l’évangile : « vous êtes pleins de convoitise et vous n’obtenez rien » [1]

Aujourd’hui il poursuit à propos du scandale des richesses, et le ton monte, au point de nous donner l’impression, qu’il s’adresse à d’autres personnes qu’à des croyants. Surtout si l’on pense à la description de la première communauté chrétienne (relatée dans les Actes des Apôtres), où l’on mettait tout en commun, où l’on n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Or, nous savons que ces contre témoignages stigmatisés par l’Apôtre existent toujours, hélas dans nos communautés chrétiennes : poids des richesses, pouvoir, arrogance du savoir, injustice envers les subordonnés, indifférence aux plus pauvres…, scandales divers dans l’Église dont les médias se font souvent l’écho. Le risque le plus grand (qui discrédite l’évangile) est de scandaliser, de troubler la foi d’autres, moins sûrs d’eux-mêmes, plus faibles et moins assurés socialement ou religieusement.

« Vous les riches » dit Jacques.
Il vaudrait mieux dire : vous les faux riches. (alourdis par vos fausses richesses). Car les richesses d’ici-bas sont à rattacher à ce qui est périssable, à ce qui est dit de l’homme au début de la Bible : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière » (Genèse 3, 19). « L’homme est semblable à un souffle, ses jours sont une ombre qui passe » (psaume 143, 4). « Ne vous amassez point de trésors sur la terre… mais dans les cieux » (Matthieu 6, 19-20). Jacques dit cela à sa manière, se faisant l’écho de Jésus qui met ses disciples en garde contre l’argent, ce dernier pouvant devenir un redoutable rival de Dieu. L’argent, bien que vaincu, peut entraîner dans sa chute celui qui lui rend un culte, qui en devient esclave. La vraie richesse ne monte pas de la terre, elle descend du Ciel  : c’est la Parole vivante de Dieu, le Christ : Dieu, « le Père, n’a dit qu’une seule Parole et c’est son Fils » (st Jean de la Croix) [2]

Celui qui est la Parole se donne à entendre, à écouter ; … se donne aussi à manger : il est le Pain vivant descendu du Ciel. Mais bien saisir et vivre cela, suppose de faire de notre cœur une terre accueillante. Et si nous faisons de cette Parole vivante, de ce Pain de Vie notre richesse, l’expression « vous les riches » peut devenir chrétienne, évangélique. Mais pour recevoir cette richesse venant d’En-Haut, il faut alors ouvrir nos mains et laisser tomber les faux trésors qu’elles contiennent. Au terme de notre vie, puissions-nous paraître devant Dieu les mains vides (Th. De l’EJ), vides de ces fausses richesses, et pleines de Dieu. Il existe encore d’autre formes de richesses positives au sujet desquelles Jésus aurait pu dire : « Heureux, vous les riches ! ». Il s’agit simplement des dons que chacun de nous a reçus de Dieu, qu’ils soient naturels ou surnaturels. Mais là encore, il convient de les faire fructifier au bénéfice de tous ; afin de répondre au désir du Donateur (le Seigneur) et ne pas encourir ses reproches. Un talent est donné en vue du service et non pour briller ou dominer. Dans la célèbre parabole des talents, le Seigneur a condamné le serviteur mauvais qui n’avait pas fait fructifier le sien. Il a fait entrer dans la joie du Maître ceux qui avaient mis les leurs à la Banque de l’Amour fraternel. Garder égoïstement ses talents pour soi, constitue un scandale. Saint Paul a exhorté ses chrétiens à se mettre au service les uns des autres. C’est ainsi que l’on construit une communauté chrétienne. Il ajoute qu’il y a une manière évangélique de construire : donner avec foi et avec joie, c’est donner, avec ce qu’on offre, sa foi et sa joie (cf. 2 Co 9, 6-10 et Ph 4, 4-9). C’est comme si le Seigneur nous demandait de lui prêter nos mains, notre amabilité, notre sourire pour qu’il puisse donner ses richesses à nos frères.

En conclusion, ces lectures nous disent que lorsqu’on parle de richesses, il ne s’agit pas forcément d’argent. Jalouser, faire preuve d’intolérance, vivre comme s’il n’existait personne d’autre que nous sur la terre, se livrer au péché au risque de scandaliser et faire tomber les autres, tout cela peut constituer les intérêts du faux trésor. Exploiter ainsi le trésor, c’est continuer de « tuer le Juste », le Christ dans ses membres. Mais si nous voulons vivre en riches selon Dieu, faisons fructifier au maximum le vrai trésor dont le capital augmente sans cesse. Oui, investissons tout dans une vie vécue selon Dieu. Puissions-nous être comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face (fêtée bientôt) : elle qui misa sa vie sur le Christ, qui « joua à la banque de l’Amour » et « ne s’est pas repentie de s’être livrée à l’Amour ». Dieu est Amour, il nous a enrichis par sa Parole éternelle, son Fils, … qui, de plus, s’est fait notre nourriture, le Pain de Vie. Voilà nos vraies richesses, et elles ne passent pas. AMEN

Frère Gérard-Marie de la Trinité, ocd - (couvent d’Avon)

[1Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre. Vous n’obtenez rien parce que vous ne demandez pas ; vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs (en Lettre de saint Jacques 3,16-18.4,1-3).

[2En disant cela, saint Jean de la Croix (carme) n’invente rien ; il reprend avec ses propres mots, avec son génie spirituel, ce qu’exprime déjà l’évangile de saint Jean dès le premier verset : « Au commencement était le Verbe, la Parole (vivante) qui était auprès de Dieu… » (Jean 1, 1)… ; évangile qui nous dit un peu plus loin (Jean 1, 14) : « Et le Verbe s’est fait chair, et il est venu habiter chez nous ». Et parce qu’il s’est fait l’un de nous par son incarnation, (grâce à Marie qui l’a porté en elle), il pourra, le moment venu, devenir effectivement « le Pain descendu du Ciel », le Pain de Vie, notre nourriture, « le Pain rompu », par Amour, afin que le monde ait la Vie (Jean 6, 33… 54-56 : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle »), et la Vie en abondance (Jean 15, 16).

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