Jean de la Croix ( Homélie 14 déc. 2017)

Is 43, 1-5 ; Rm 8 ; Jn 17, 11 b-26.

Isaïe 43. Parole du Seigneur : C’est moi qui t’ai créé. Ne crains pas car je t’ai racheté, Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, Les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas. Ne crains pas car je suis avec toi.

Pourquoi avoir choisi ce texte du chapitre 43 d’Isaïe pour cette messe de st Jean ? Il ne le cite en aucune de ses œuvres, à la différence du chapitre 17 de st Jean et du chapitre 8 de l’épitre aux Romains qu’il cite à plusieurs reprises. De manière libre, nous nous proposons de montrer sur trois points les harmoniques entre cette citation du prophète Isaïe et les écrits de Jean de la Croix.

A/ Ne crains pas car je suis avec toi, c’est la reprise de la Parole adressée à Moïse par le Seigneur qui lui demande d’aller trouver Pharaon pour qu’il laisse partir les hébreux. La formule reviendra souvent dans l’écriture lorsqu’un homme sera chargé d’une mission difficile, ainsi Jérémie et Ezéchiel. Ce seront les dernières paroles adressées par jésus à ses apôtres à la fin de l’évangile de Mathieu « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

Je suis avec toi dit le Seigneur. Selon Jean de la Croix, il existe une première manière pour le Seigneur d’être avec la personne humaine, comme il est avec toute créature. « Il faut savoir dit-il dans le cantique spirituel, que la première manière pour Dieu d’être présent à sa créature est une présence par laquelle il leur communique la vie et l’être et si cette présence leur faisait défaut, les créatures retourneraient au néant et cesseraient d’exister » (CSB 11, 3). Autrement dit, si Dieu ne me donnait l’existence dans l’instant présent je n’existerais pas. C’est là le « je suis avec toi  » le plus radical puisqu’il me donne d’être.

Ce don que Dieu nous fait de l’existence n’est pas un don statique, comme celui d’un objet inanimé : c’est un don dynamique. Dans une formule très osée, Jean de la Croix nous dit : le centre de l’âme, c’est Dieu. (VF1, 12). Ce n’est pas du panthéisme selon lequel nous serions une partie de Dieu. Par centre il n’entend pas un centre spatial comme celui d’une circonférence ou d’une sphère. Ce mot désigne pour lui le point d’achèvement, d’accomplissement d’un être là où le dynamisme de son être le conduit. Un peu comme lorsque je dis : je suis dans mon centre, je suis moi-même. Et pour aider à comprendre cette réalité, il utilise une comparaison. Je lance une pierre en l’air, elle monte et redescend sur le sol, elle est empêchée par le sol de descendre plus bas. Mais si je la lançais du haut d’une falaise elle tomberait beaucoup plus bas dans la terre de par la loi de l’attraction universelle. Et l’on pourrait dire que son centre ultime, c’est le centre de la terre : tant qu’elle n’y sera pas, elle garde une capacité d’y aller, mais elle y est empêchée par les obstacles. Le centre de l’âme, c’est Dieu, c’est une manière de dire que nous sommes créés pour Dieu, pour être pleinement unis à lui. Et Jean de la Croix précise : « l’attrait de l’âme, sa force et son énergie pour aller à Dieu, c’est l’amour parce que c’est par l’amour que l’âme s’unit à Dieu. Ainsi plus elle atteint de degrés d’amour, plus elle entre profondément en Dieu et plus son centre se rapproche du centre de Dieu. Nous pouvons donc dire que l’âme a en Dieu, autant de centres de plus en plus intérieurs qu’elle atteint de degrés d’amour, car plus l’amour est fort plus il est unitif. Ainsi, poursuit Jean de la Croix, pour que l’âme soit en son centre, il suffit qu’elle atteigne un degré d’amour car, avec un seul degré, elle s’unit par la grâce avec Dieu. Si elle atteint deux degrés, elle s’unit avec Dieu et le rejoint dans un autre centre plus profond. »

Notre histoire sainte est l’histoire d’un centrement de plus en plus radical en Dieu, qui s’opère par une croissance dans l’union de notre volonté à la volonté de Dieu par la charité. Par le prophète d’Isaïe nous entendons la voix du Seigneur, Je suis avec toi, de par cette attirance que j’inscris au plus profond de ton être et de l’amour que je verse en ton cœur.

B/ Dans son attraction vers le centre de la terre, la pierre est arrêtée par les empêchements du sol. Dans notre attraction vers Dieu nous sommes affrontés à des résistances, à des empêchements. C’est tout ce qui nous décentre de Dieu et nous centre sur nous-mêmes, sur notre moi autosuffisant, qui se ferme aux relations d’ouverture à Dieu, aux autres et à soi-même en ne s’acceptant pas tel qu’on est. Nous connaissons ce domaine vaste, complexe, qui est le lieu d’un combat. C’est le domaine de nos défauts, jalousie, égoïsme, sensualité, médisance…, qui nous habitent tous plus ou moins et nous replient sur nous-mêmes. Ce repli est encore accentué dans les situations d’épreuve, car la souffrance par elle-même nous replie et tend à nous enfermer sur nous-mêmes. C’est ici qu’il faut entendre la phrase complète du Seigneur : « Ne crains pas je suis avec toi », non pas pour faire disparaître l’épreuve mais pour te donner la possibilité d’en faire un lieu de croissance. Rien n’existe en dehors de Dieu, il n’est jamais absent de cette existence qu’il nous donne et il n’a qu’un désir, qu’une passion : nous faire vivre de la vraie vie qui ne passe pas, en nous unissant davantage au Christ dans l’amour. Tout est utilisé par Dieu pourvu que l’homme ne s’y oppose pas. Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment, dit st Paul au chapitre 8 de l’épitre aux Romains. Lorsque Dieu disparait, dans une sorte de nuit, c’est souvent parce que des évènements douloureux obscurcissent sa présence. On le constate dans la vie de Jean de la Croix, c’est dans la prison du couvent de Tolède où il est enfermé par ses frères religieux qu’il vit une partie de sa nuit obscure. Mais ce sera le lieu d’une conformité beaucoup plus profonde au Christ.

Que ce soit la souffrance devant notre médiocrité, devant l’inutilité apparente de nos combats, nos humiliations, nos épreuves physiques, psychiques, deuil, maladie, échecs, tout peut devenir une nuit purificatrice à la condition que cette souffrance soit acceptée. Dieu ne peut rien faire sans notre oui. Une souffrance non acceptée nous écrase. Mais si nous ouvrons notre âme, si nous nous décentrons pour accueillir et assumer la souffrance dans la foi en la présence de Dieu qui nous accompagne, elle devient une partie de notre nuit obscure et cette nuit devient grâce, comme le fut la nuit de Jean de la Croix dans sa prison. Nous devons alors nous efforcer de rester tournés vers le seigneur en répétant sa parole : ne crains pas. Et nous sommes appelés à nous tourner vers la Croix de Jésus, pour le rejoindre dans l’offrande qu’il fait de lui-même. Nous ne sommes jamais seuls.

C/ Il est plus difficile de croire que nos propres péchés, les grands et les petits peuvent jouer le même rôle et nous faire grandir en Dieu. Voir infectés d’égoïsme toutes nos actions, même les meilleurs, même l’amour témoigné à Dieu et à nos frères, avoir manipulé les autres au lieu de les servir, avoir travaillé pour son propre royaume et non pour le Royaume de Dieu, comprendre qu’au milieu de belles choses qu’on a faites et pour lesquelles on a peut être reçu beaucoup de compliments , on a subtilement vécu pour soi-même ; bref, comprendre qu’on s’est toujours pris plus ou moins pour le centre du monde et se voir enchevêtré dans les filets de l’égocentrisme…. Quelle découverte accablante ! Oui, mais aussi quelle grâce de voir enfin la réalité, une réalité dont je n’ai pas à avoir peur car elle est habitée par la Parole : ne crains pas, je suis avec toi. Et cette prise de conscience aiguë du péché est une conséquence du fait que l’âme est illuminée par Dieu. Certes, rien ne semble indiquer que nous sommes éclairés par Dieu. Nous ne voyons que notre propre obscurité. Mais c’est bien lui qui nous éclaire pour que nous nous tournions vers lui et accueillions sa miséricorde. Il est là, toujours fidèle : Ne crains pas, je suis avec toi.

A moi de le croire en m’appuyant d’un regard sur la croix de Jésus, ou sur le comportement d’un de mes frères. Jean de la croix ose prétendre que les plaies qui proviennent de nos misères et de nos péchés peuvent devenir des plaies d’amour. VF 2, 7

Enfin et ce n’est pas rien, je peux et même je dois m’appuyer sur le don de l’Eucharistie qui m’est offert. Dans la 3e prière eucharistique, après la consécration le prêtre prie : regarde Seigneur le sacrifice de ton Eglise et daigne y reconnaitre celui de ton Fils ; quand nous serons nourris de son corps et de son sang, et remplis de l’Esprit Saint : dans la communion eucharistique nous recevons l’Esprit Saint, il vient purifier notre cœur et le conformer au cœur de Jésus.

Ne crains pas je suis avec toi. Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des siècles.

fr.Dominique Sterckx - (Couvent de Paris)

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