Homélie 22° Dim. TO : une sagesse prophétique

Dimanche 30 aout 2015 - 22° dimanche du Temps ordinaire

Textes liturgiques : Dt 4,1-8 ; Ps 14 ; Jc 1,17-27 ; Mc 7,1-23

Nous rend-elle intelligents et sages, notre foi au Christ ? Il serait assurément intelligent et sage de ne pas répondre et de laisser la parole aux autres – aux « autres nations » comme dans le livre du Deutéronome – A la différence de notre première lecture, il n’est pas sûr que les réponses soient toutes très flatteuses. Peu importe, je la pose à nous-mêmes, ni pour faire l’autruche, ni pour nous auto-glorifier, ni pour nous accabler mais pour nous interroger : quelle compréhension de la vie et quelle manière de l’habiter – autre manière de parler d’intelligence et de sagesse – nous donne l’expérience de la foi ? Ceci pour rendre davantage grâce au Seigneur et mieux vivre la grâce de la foi… Les lectures de ce jour, qui nous situent dans un certain rapport à la Loi et induisent une certaine manière de vivre, suggèrent plusieurs pistes que je regroupe en ces trois expressions : une sagesse de l’écoute, une sagesse des mains sales et une sagesse théologale…

La première et la deuxième lecture, situées de part et d’autre de la grande "pliure de l’Ecriture", se rejoignent dans l’écoute de la Loi, c’est-à-dire de la Parole du Seigneur. « Écoute les commandements et les décrets que je vous enseigne. Ainsi vous vivrez, et vous entrerez en possession du pays que vous donne le Seigneur » dit Moïse. Et saint Jacques d’écrire : « accueillez humblement la Parole de Dieu semée en nous ; elle est capable de vous sauver. » L’écoute est promise à la vie – la vraie vie – et à une manière d’habiter les dons du Seigneur (‘prendre possession’ de la terre de la Promesse). L’écoute dont il est question, posture fondamentale de la foi, est tout en même temps un combat, une ascèse, un don et une sagesse. Le combat et l’ascèse s’expriment avec le fait de ne rien « ajouter » ni de ne rien « enlever », de « garder » dans un climat de vigilance et de respect de la Parole toujours autre, vraie nourriture qui seule sustente, feu brûlant qui purifie, lumière de la route qui seule conduit. Sagesse du silence, de l’effort de comprendre, de ne pas se disperser. L’appel à l’écoute est, dans notre pratique de la foi, un appel toujours neuf à lire l’Ecriture, à prier, à accueillir la Parole du Seigneur. Invitation à aller à l’intérieur, ce qui rejoint notre évangile : vivre au niveau du cœur profond. Nous le savons, le chemin est sage autant qu’exigeant.

Parler de sagesse des mains sales, c’est avec Péguy parler d’une sagesse de l’action, du courage et de l’engagement. L’épitre de saint Jacques le précise : l’écoute de la Parole implique sa mise en application, tout spécialement auprès des plus petits, « les veuves et les orphelins ». Benoît XVI commentant la lectio divina et ses classiques quatre moments (lectio, meditatio, contemplatio et oratio) en complétait la liste avec l’actio. Ne pas agir pour ne pas mal agir, pour ne pas se salir serait une illusion. C’est l’impasse du pharisien de l’évangile et des bien-pensants que fustige Péguy : il « a les mains pures mais il n’a pas de main. Et nous, avec nos mains calleuses, nos mains noueuses, nos mains pécheresses, nous avons quelque fois les mains pleines ». De fait, notre foi au Christ ne nous invite pas à vivre comme des séparés (des pharisiens), des préservés mais à nous donner. La sagesse de l’évangile est une sagesse du don : tout donner et se donner, ainsi s’expriment les plus beaux fruits du christianisme, à la fois en terme mystique et d’engagement dans la société.

Mais, troisième point, la sagesse évangélique que nous esquissons est une sagesse théologale, c’est-à-dire ayant Dieu pour objet, pour motif et pour critère ultime. Dans le Deutéronome, elle manifeste que « Dieu est proche ». Notre manière chrétienne de vivre sera toujours corrélée à cela. C’est la difficulté de la faire apprécier par le monde, que j’évoquais tout à l’heure. Déjà saint Paul avait beaucoup médité sur cette sagesse folle aux yeux du monde, cette faiblesse puissante qu’est le mystère de Croix. Ne cherchons pas à nous constituer une sagesse à notre mesure ! C’est aussi ce qu’enseigne notre évangile. La grande illusion, des pharisiens et de tout un chacun, serait de croire que c’est par nos propres efforts que nous pouvons nous nettoyer, nous protéger et rester purs. Au contraire, il n’y a qu’une seule eau qui nettoie, celle que nous donne le Christ, celle qui jaillit de son côté ouvert… Heureuse expérience des mains sales, pour reprendre l’expression, si elle nous permet de connaître que la seule et vraie pureté est celle que donne Dieu, que la seule sagesse, désirable pour notre foi, est celle que donne Dieu… Cette sagesse n’est pas une perfection humaine, elle est une sagesse de la sainteté, la perfection que donne Dieu au creux de nos imperfections et autres tares. « Sagesse d’un pauvre », c’est la sagesse de l’humble qui rend audacieux, la sagesse de la liberté, la sagesse sage et folle à la fois, la sagesse des saints, la sagesse des béatitudes qui n’a d’autre trésor que Dieu.

Aujourd’hui, nous sommes à la recherche d’une nouvelle sagesse. L’actualité d’un monde en feu qui nous montre que nous avons perdu la tête, l’évolution de nos manières de vivre avec entre autres l’omniprésence des moyens de communication – et je crois que ces derniers éprouvent une sagesse de l’écoute ou une sagesse des mains sales : on a pu dire que le monde virtuel était justement toujours impeccable, sans poussière ! – ainsi que la question écologique nous font désirer cette nouvelle sagesse. L’encyclique du Pape François ne porte pas simplement sur la question de l’environnement d’un point de vue uniquement mondain (même si le monde semble réceptif à son message) mais plus largement sur la manière d’habiter la « maison commune ». Il s’agit bien d’une question de sagesse et d’intelligence. Sagesse de l’écoute, du silence et de l’ascèse, sagesse des mains qui acceptent de se salir en se donnant, sagesse théologale qui s’appuie sur et témoigne de Dieu, tout cela mérite d’être développé. Le Pape insiste par exemple sur l’importance d’une sagesse prophétique. Que le Seigneur, si proche et qui nous donne la vie, nous conduise, nous inspire et nous transforme sur ce chemin, pour sa Gloire ! Amen

fr. Guillaume Dehorter, Provincial de Paris ocd
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