Homélie 2° dim. Avent : Dieu parle … en silence

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques du 2e dimanche de l’Avent (année C) : Ba 5,1-9 ; Ps 125 ; Ph 1,4-11 ; Lc 3, 1-6

Dieu peut-il parler pour ne rien dire ? Voici des siècles que la Parole prophétique n’avait pas retenti en Israël. Voici des siècles que les Israélites revenus d’exil n’avait plus entendu la formule consacrée des prophètes « Ainsi parle le Seigneur … ! » A présent, l’évangéliste Luc déclare que « la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie. » La mise en scène de l’irruption de cette Parole est véritablement grandiose. Elle surgit dans le désert au milieu de nulle part, mais dans un contexte historique extrêmement précis du point de vue chronologique. La complexité du pouvoir politique est située dans le vaste cadre de l’empire romain, tandis que la mention des grands prêtres, et donc du pouvoir religieux, nous renvoie au Temple de Jérusalem, centre de la vie d’Israël. Les futurs acteurs de la Passion de Jésus sont déjà présents en la personne de Pilate, le Procurateur romain, et des grands prêtres Anne et Caïphe. La Parole de Dieu s’inscrit dans cette histoire politique et religieuse où se jouera le drame de la Passion de Jésus, mais c’est dans le désert. Dieu parle soudainement à un homme seul, vivant en marge de toute institution et éloigné de tout lieu du pouvoir.

Dieu peut-il parler pour ne rien dire ? Voici qu’après un tel déploiement rhétorique pour situer l’intervention de Dieu et l’annonce de sa Parole, celle-ci ne communique rien. Ou plus exactement, rien ne nous est dit de ce que Jean entend ou comprend de cette Parole. Nous le voyons seulement changer de comportement. Il se met à parcourir en tous sens la région du Jourdain et institue un baptême de repentance pour la rémission des péchés. Il agit en électron libre par rapport aux institutions établies. Aucune référence n’est faite au culte, aux sacrifices du Temple ou à une quelconque autorité religieuse. Pour légitimer son action, l’évangéliste recourt alors à une parole d’un Prophète d’autrefois appelant à la conversion et annonçant la venue du Messie. Non seulement rien ne nous est dit au sujet de la Parole que Dieu a adressée à Jean, mais il faut aller rechercher une parole vieille de six siècles pour rendre compte de ce qui se passe. Cette citation est en outre sans lien avec le baptême proclamé par Jean, puisque celui-ci est une nouveauté jusque-là inconnue de la tradition prophétique et cultuelle.

Dieu peut-il parler pour ne rien dire ? Dieu s’est manifesté à Jean, puisque la vie de celui-ci en a été bouleversée et qu’il s’engage dans une forme d’action prophétique novatrice. Pourtant Dieu n’a concrètement rien dit, au sens où Dieu ne parle jamais pour dire quelque chose comme nous le faisons. Sa Parole est manifestation de sa présence, relation vive, don de lui-même. La véritable parole de Dieu qui nous est transmise dans l’Evangile est une parole relationnelle : « Tu es mon Fils Bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour. » ou encore « Celui-ci est mon Fils Bien-aimé. Ecoutez-le ! ». Dieu est Père, Fils et Esprit, relation au-delà de toute parole. Sa Parole est présence, vie et amour. Telle est l’expérience faite par Jean-Baptiste.

Comme en toute expérience de Dieu, les mots viennent après pour balbutier cette communion qui entraîne la personne dans le mouvement d’une vie nouvelle. Jean tente de rendre témoignage au silence abyssal qui a transformé sa vie, mais ce qu’il trouvera à dire, ce sera le message de justice sociale le plus traditionnel. Son annonce du Royaume s’en tiendra au registre des prophètes de l’Ancien Testament. Il invente en revanche le baptême de repentance pour dire la présence inédite de Dieu. Dieu vient. Jean nous appelle à prendre conscience de cette présence inouïe de Dieu dans nos vies. Cela exige l’accueil de son pardon, car tout homme est pécheur devant Dieu : la présence de Dieu est toujours pure miséricorde.

Dieu nous parle lorsque nous sommes à l’écoute de cet Amour qui nous habite infiniment. Nous allons entrer dans l’année jubilaire de la Miséricorde pour contempler ainsi le visage de l’amour au-delà de tout mot, du pardon au-delà de tout péché. Puissions-nous recevoir le don que Dieu nous fait de lui-même dans la foi en sa venue et l’abandon confiant à sa miséricorde. Dans le silence du cœur, préparons-nous à adorer Dieu donné dans l’enfant de la Crèche. Il n’a pas d’autre parole que sa vie livrée et sa pauvreté offerte en notre indigence. Puissions-nous aussi l’accueillir à Noël avec l’espérance vive de voir s’accomplir la promesse : « Tout être vivant verra le salut de Dieu. »

fr. Olivier Rousseau, ocd (Couvent de Paris)
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