Homélie 3° dim. TO : le double tranchant de Sa Parole

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : Ne 8,1-10 ; Ps 18 ; 1 Co 12, 12-30 ; Lc 1,1-4 ; 4,14-21

A l’origine était le Verbe. Au commencement était la Parole, car Dieu dit et cela fut. Le Seigneur a tout créé par sa Parole et en dehors d’elle rien n’existe. Pas de véritable commencement donc sans une proclamation de la Parole de Dieu. C’est bien ce qu’illustrent, en se répondant, les deux commencements présentés par la liturgie de ce dimanche. Le 1er commencement évoqué par le livre de Néhémie est celle du judaïsme après la terrible période de l’exil à Babylone au VIe siècle avant Jésus-Christ. Il s’agit de restaurer le culte du Dieu d’Israël à Jérusalem en lien avec la reconstruction du Temple et la restauration politique du peuple élu. Et ce commencement prend la forme d’une proclamation solennelle de la Loi de Moïse, des cinq livres qui forment la Torah, devant l’assemblée. A ce moment solennel correspond un autre commencement, celui de l’évangile selon saint Luc qui est suivie de la 1re prédication de Jésus : celle-ci a lieu dans la petite bourgade de Nazareth et est donc beaucoup moins éclatante que la précédente : pourtant, dans sa simplicité, elle est en réalité beaucoup plus décisive.

Proclamation de la Parole de Dieu qui annonce un commencement et qui est efficace. Elle crée en disant, elle produit des effets. Or, ces effets sont étonnamment divers voire contraires. Néhémie précise que les auditeurs « pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi » et celui-ci de les inviter à ne pas prendre le deuil. Car chez lui, cette proclamation produit la joie et il invite l’assemblée à se réjouir et à entrer dans la joie de Dieu. Il en est de même dans l’évangile si on lit la suite de notre passage : l’assemblée de Nazareth est d’abord dans l’admiration devant la parole de Jésus puis subitement bascule vers le soupçon et enfin le rejet. Mais quelle est donc cette parole qui peut provoquer en même temps ou presque des sentiments si contraires ? Comment se fait-il que la Parole de Dieu puisse apporter joie et tristesse, provoquer attachement et rejet ?

C’est que la Parole de Dieu est plus incisive qu’un glaive à deux tranchants (He 4,12). Son premier tranchant est libérateur : il est la communication de la proximité de Dieu. Après les 70 ans de déportation à Babylone, le peuple s’est interrogé sur l’éloignement ou l’absence apparente de Dieu, sur son silence. Et voici que Dieu parle à nouveau par l’Ecriture proclamée. Dieu se fait de nouveau proche de son peuple et le bénit. Il donne une parole qui est le signe de sa présence. Mais ceci n’est qu’un avant-goût. Car dans l’évangile, nous assistons à un sommet de proximité : sa parole a pris la forme d’une humanité, celle de Jésus de Nazareth. Le Christ est le Verbe fait chair que nous avons accueilli à Noël : il incarne lui-même la proximité de Dieu puisqu’il est désormais avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde. En Jésus, Dieu s’est approché et s’est fait notre prochain. La proximité de Dieu n’est plus seulement audible ; elle devient visible. La Parole est une personne. Voilà le cœur de la bonne nouvelle annoncée par le prophète Isaïe et que Jésus vient accomplir. En lui s’accomplit l’Ecriture : il est le Christ qui a reçu l’onction du Père au baptême et qui nous verse la joie de Dieu. Désormais, c’est définitif : la joie de Dieu est notre rempart et rien ne pourra plus nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. La joie dont parle Néhémie n’est qu’un maigre apéritif devant le festin des noces de l’Agneau. Maintenant cette joie demeure pour toujours.

Mais d’où vient donc cette tristesse chez le peuple d’Israël puis cette révolte chez les habitants de Nazareth ? Elle vient de notre cœur qui est comme sommé de se positionner face à cette bonne nouvelle : c’est le 2e tranchant du glaive de la Parole de Dieu. Le Dieu qui s’approche est caché mais il est le Dieu saint qui ne peut pas laisser indifférent. Sa parole touche le cœur et invite à se tourner vers lui. Elle peut alors provoquer la tristesse car notre péché est dévoilé : entrer dans la joie de Dieu demande de quitter mes tristesses auxquelles je suis finalement si attaché, dans lesquelles je me complais tant car je peux me plaindre. Elle peut aussi conduire au rejet car l’orgueil en moi est le plus fort et je pense que je n’ai pas besoin de Dieu et de sa proximité pour trouver la joie et être heureux. La Parole de Dieu démasque et bouscule mais elle ne s’impose pas ; elle ne me réduit pas au silence. Je dois répondre. Et ne pas répondre, c’est toujours répondre, par la négative et m’enfermer dans mon mutisme ou ma révolte. La tristesse et la révolte ne viennent donc pas de la Parole de Dieu mais de mon cœur qui est dévoilé par elle : elle met au jour ce qui était caché en moi.

Voilà donc une alternative pour nous en ce dimanche : comment nous situons-nous devant la Parole de Dieu ? La laissons-nous entrer dans notre cœur et nous donner la joie d’un nouveau commencent ? Ou bien décidons-nous de fermer nos oreilles et donc de rester dans notre routine marquée par l’isolement et la tristesse ? Voulons-nous être des « serviteurs de la Parole » comme dit saint Luc ou d’éternels frustrés ? En ouvrant notre cœur au Christ, nous entrons en même temps dans l’expérience de faire partie de son corps. Car de même que Jésus a reçu l’Esprit au baptême, ainsi nous-mêmes analogiquement par notre baptême : nous avons tous été baptisés en un seul Esprit pour former un seul Corps, le Corps du Christ. Et la Parole de Dieu nous aide à prendre notre juste place dans ce corps. Si Dieu se fait proche de nous, c’est afin que nous-mêmes soyons proches les uns des autres. On ne peut être proche du Christ sans l’être de ses frères. Et cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous le rappelle : nous ne pouvons nous satisfaire des divisions qui traversent le corps que nous formons. Nous devons sans cesse invoquer l’Esprit de Jésus pour que sa Parole forme entre nous l’unité que le Père désire. Car l’unité que nous désirons et demandons est un don : elle ne peut donc venir que d’une écoute priante et assidue de la Parole de Dieu, seule apte à créer un commencement hors de nos séparations.

Au fond la Parole de Dieu est salutaire même dans la tristesse qu’elle peut dévoiler. L’écoute de la parole testamentaire de Jésus « que tous soient un » (Jn 17,21) ne peut en effet que nous plonger dans la tristesse du non-accomplissement de cette parole à cause de nos fautes. Eh bien, qu’elle nous réveille, frères sœurs, qu’elle nous fasse demander la joie complète que Jésus a promise. Ne nous lassons jamais de commencer toujours.

fr.Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
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