Homélie de la Ste Trinité : Dieu a horreur du calcul !

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques de la Ste Trinité (année C) : Prov 8,22-31 ; Ps 8 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15

1+1+1=1. Désolé mais Dieu a horreur du calcul, ou plutôt de nos calculs. Ceci est une vraie difficulté pour nous qui vivons en une époque régie par la logique calculatoire : cela commence avec les cours de bourse, se développe avec la révolution numérique et les multiples algorithmes de Google ; cela se vérifie enfin dans notre manière de gérer notre temps comme une ressource précieuse comme de l’or. Tout se compte. Or le mystère de la Trinité n’est pas un problème de mathématiques dont il faudrait chercher la solution ou encore un programme informatique avec son code secret à décrypter. Ce n’est pas la puissance de nos instruments de calcul qui nous permettra d’en dire quelque chose de vrai. Il nous faut entrer dans une autre démarche qui est celle de l’humilité : humilité qui passe par une conversion de notre intelligence si sûre d’elle-même. Le mystère de Dieu ne s’ouvre qu’aux humbles de cœur.

Notre conversion sera d’abord de bien comprendre ce qu’est un mystère. Dieu n’est pas une énigme à résoudre, une équation à solutionner ou encore un secret réservé à certains initiés. On ne fait pas le tour de la question de Dieu mais on y entre, ou pas. Car le mystère de Dieu n’est pas une question théorique et lointaine ; mais c’est la réalité la plus concrète, réalité dans laquelle nous sommes pris, que nous en soyons conscients ou non. Dieu est, avec ou sans nous. Le mystère de Dieu n’est pas un sujet pour certains illuminés ou intellectuels : il est la vérité la plus profonde qui vient éclairer en retour notre propre vie. Plus nous nous décidons à entrer dans le mystère de Dieu par notre intelligence et notre volonté, plus nous apprendrons à connaître qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. Dieu se révèle à nous et nous fait comprendre ainsi le sens de notre existence : c’est en Lui que nous nous trouvons ; et sans Lui, notre vie est indéchiffrable. Le mystère trinitaire, d’un Dieu unique en trois personnes est la vérité de foi, le repère dogmatique qui nous permet d’interpréter notre vécu de manière juste et de comprendre la profondeur de l’histoire humaine.

Cela est vrai de multiples manières mais un lieu privilégié pour creuser cette affirmation est l’expérience de la famille, comme le Pape François l’a développé dans son exhortation apostolique La joie de l’amour (Amoris laetitia) : « Le Dieu Trinité est communion d’amour, et la famille est son reflet vivant. (…) ‘Notre Dieu, dans son mystère le plus intime, n’est pas une solitude, mais une famille, puisqu’il porte en lui-même la paternité, la filiation et l’essence de la famille qu’est l’amour. Cet amour, dans la famille divine, est l’Esprit-Saint’. La famille, en effet, n’est pas étrangère à l’essence divine même. » (AL 11) La famille est le reflet du Dieu Trinité : aussi plus j’approfondis ma connaissance aimante du mystère de Dieu, plus je comprends à quelle vie est appelée ma famille. Plus je contemple l’amour qui unit le Père et le Fils, mieux je comprends la qualité de relation qui doit exister entre conjoints et entre parents et enfants. Plus j’approfondis le mystère de la communion divine faite d’unité et de distinctions plus je pressens que la vie de famille est faite d’une juste autonomie des personnes et en même temps d’une nécessaire interdépendance. En Dieu, chaque Personne est distincte et unique et en même temps partage une seule nature divine dans une pleine communion d’amour.

Et cette communion d’amour nous est transmise. Dieu nous communique son mystère pour faire de nous des dieux, comme nous l’avons entendu dans le psaume qui s’étonne de la grandeur humaine : « Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds. » La Trinité Sainte n’est pas repliée sur elle-même dans une autarcie suffisante : elle s’ouvre et se donne à nous en nous créant et en nous sauvant, en nous donnant la vie à chaque instant. C’est ce que nous dit le Fils de Dieu, caché sous les traits de la sagesse divine dans la 1re lecture : « Je faisais les délices [du Seigneur] jour après jour, jouant devant lui à tout moment, jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. » Le Fils fait les délices du Père qui lui a tout donné et qui trouve sa joie en son Enfant bien-aimé. Et le Fils trouve ses propres délices dans la compagnie des fils des hommes. La joie qu’il reçoit de son Père, le lien d’amour qui les unit et qui est l’Esprit Saint, il nous le donne. Il nous donne part à son bonheur de fils pour que notre vie soit transformée par cet amour.

Saint Paul l’atteste : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.  » Par notre baptême et notre confirmation, nous avons reçu la plénitude de l’Esprit. Nous avons reçu en nous la source de l’amour qui nous permet d’aimer à notre tour comme Jésus nous a aimés. Et c’est seulement par cet amour que nous pouvons de plus en plus correspondre personnellement et ensemble à l’image du Dieu qui nous a créé : « C’est dans la famille humaine, réunie par le Christ, qu’est restituée ‘‘l’image et la ressemblance’’ de la Sainte Trinité (cf. Gn 1, 26), mystère d’où jaillit tout amour véritable. » (AL 71) Tel est le mystère de Dieu, non pas une énigme mais une source inépuisable d’amour pour celui qui est prêt à s’y abreuver avec humilité.

Dieu n’est pas calcul. Dieu est Amour. Il donne sans compter, sans calculer car que serait un amour calculateur ? En cette fête de la sainte Trinité, entrons donc dans la logique de l’amour. Retrouvons avec les mots de la Sagesse le sens du jeu : la Sagesse divine, le Fils de Dieu jouait devant son Père et dans l’univers, dans une pleine liberté d’amour. Aussi laissons tomber pour un temps nos nécessaires calculs afin de vivre cette fête ô combien gratuite de la Trinité : c’est je crois la seule célébration de l’année où nous pouvons fêter Dieu non d’abord pour ce qu’il nous donne, comme dans toutes les fêtes de notre salut, de Noël à Pâques, mais pour ce qu’il est en lui-même. Entrons donc dans cette louange gratuite qui est la joie des saints et des anges. Préparons-nous à notre activité éternelle : vivre des délices de Dieu et célébrer ce bonheur partagé.

Frères et sœurs, que l’Esprit Saint nous saisisse en ce jour. Qu’il change nos cœurs et nous conduise par son souffle vers la vérité toute entière, sur les pas de Jésus et jusque dans les bras du Père qui nous aime. Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
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