Homélie pour ND du Mt Carmel - 16 juillet 2010

donnée aux Carmels de Montmartre et de Chartres

La solennité de Notre Dame du Mont Carmel nous rassemble pour ainsi dire dans un décor de montagne : le CARMEL, nous disposant à faire avec Marie l’ascension du Sommet. Dans la Bible, il se passe toujours des événements importants et décisifs en montagne. On peut dire que l’Ordre du Carmel perpétue l’école spirituelle établie sur le Mt Carmel par le prophète Elie. Au Carmel, la lecture de la Parole de Dieu reste marquée par son expérience. La façon dont les premiers ermites carmes (établis sur le Carmel) ont médité le premier texte nous le confirme.

Expérience d’Elie, et préfiguration de Marie :

1 Rois 18, 42b-45 nous relate un moment difficile de la vie d’Elie : Israël est confronté à une sécheresse sans précédent (« changement climatique » !) ; c’est la détresse pour tout un peuple. La scène se passe sur un promontoire dominant la Méditerranée. Face à Elie, une immense étendue d’eau salée, disponible pourrait-on dire, … mais impropre à la consommation et à l’irrigation. Réflexe du prophète ! Il se tourne vers le Seigneur pour que tombe la pluie. Il nous montre l’exemple de la persévérance dans la prière, … et c’est le miracle ! « Un petit nuage gros comme un poing monte de la mer », se mue « peu à peu en un ciel qui s’obscurcit de nuages ; … tombe alors une grosse pluie ». Les premiers carmes ont reconnu en ce petit nuage l’humble mais effective présence de Marie. En elle se trouve réunies toutes les conditions nécessaires à l’éclosion de la vie : terre, eau, lumière et chaleur. Marie est terre accueillante s’exposant à la lumière et à la chaleur de l’amour de Dieu, réserve d‘eau (signifiée par ce petit nuage). Marie se fait instrument disponible et lieu sur lequel la vie se fixera : annonce d’une fertilité à venir. Marie, dès lors toute prête, « le Ciel peut répandre sa Justice, faire descendre le Juste, le Sauveur : le Christ » (cf. liturgie de l’Avent). L’eau qui tombe n’est point une pluie dévastatrice ou glacée : c’est une eau bienfaisante qui rafraîchit et fait surgir la vie ; qui fait du désert un verger, d’une terre desséchée, une oasis, un monde habitable. Cette pluie abondante, don de Dieu, exige de revenir à Lui.

Ainsi, par Marie, le Christ est donné au monde.

C’est ce que nous confirme la lettre de l’apôtre st Paul aux chrétiens de Galatie (Ga 4, 4-7) : « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d’une femme, il a été sujet de la loi juive pour racheter ceux qui étaient sujets de la loi et pour faire de nous des fils ». Mais cette promotion qui nous rend fils et filles de Dieu a supposé une vie qui s’est livrée pour nous : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Ainsi, du Carmel nous voilà transportés vers un autre mont : le Calvaire, le Golgotha, la Montagne du Salut

Au Calvaire, avec le Christ, (Nouvel Elie) et avec Marie :

Avec l’évangile, nous ne sommes plus dans l’anticipation de la venue de Marie (1 Rois 18) mais dans l’Histoire réelle : Marie, (figurée autrefois par un petit nuage) est concrètement présente : « Près de la croix de Jésus se tenait sa mère ». Et après l’événement de l’Annonciation (où la Parole se fait chair en Jésus) va s’opérer sous nos yeux une Alliance étonnante : comme au temps d’Elie, nous sommes face à une humanité désemparée. Le peuple, désorienté par les grands Prêtres, crie : « Crucifie-le ». Nous n’avons plus Elie, tout seul, faisant face aux six cents prophètes de Baals, mais Jésus criant vers son Père : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il descend dans les ténèbres du cœur de l’homme détaché Dieu, Il porte son Peuple, le régénère par sa Passion. Parce qu’il est « doux et humble de cœur », Il sauve l’humanité du péché, rendant actives et opérantes, en cet instant, les paroles qu’il prononçait le soir de la Cène : ma vie exposée devant vous sur la croix, « c’est mon Corps livré pour vous, c’est mon Sang versé pour la multitude en rémission des péchés ». Et tout cela, sans bruit de parole, en actes. Près de la croix de Jésus se trouve donc sa mère, Marie, ND du Calvaire, ND du Mt Carmel. Elle est là, unie à Lui, com-patissante.

« Femme, voici ton fils. ». « Fils, Voici ta mère. » (Jn 19, 26-27)

C’est à l’intérieur de cette Relation nouvelle entre Jésus et Marie que nous allons demeurer pour la Gloire de Dieu notre Père : en effet, il se trouve que c’est ce moment précis du Calvaire que le Christ choisit pour nous confier à sa mère et, réciproquement, nous la confier. Le scapulaire que nous portons au Carmel dit quelque chose de cette amitié prévenante et commune de Jésus et de Marie qui nous recouvre comme d’un large vêtement. En vérité, ce vêtement maternel de Marie (le scapulaire) continue de nous « revêtir du Christ » ; mais il vient comme embellir notre vêtement baptismal (tout orné des broderies de la tendresse maternelle de Marie).

Marie, l’humble petit nuage présageant une pluie abondante verra ensuite le sang et l’eau jaillir du cœur de son Fils (Jn 19, 34). Partout où jaillissent des sources vives, Marie, figure de l’Eglise, est toujours là : présente auprès de ses enfants tout renouvelés par les eaux du baptême et régénérés par l’eucharistie, mystère du corps livré et du sang de son Fils versé par amour. Le saint Curé d’Ars nous dit que Marie est essentiellement « la gardienne » d’une porte qui ouvre sur l’univers de Dieu. Son expression préférée est bien connue : Marie est « la portière du Ciel » (Le Christ étant la Porte : qui entre par lui est sauvé). Dans le contexte de cette fête marquée par l’altitude, nous pourrions comparer Marie à une guide de haute montagne : guidés par elle depuis la vallée, l’ascension du Sommet (c’est-à- dire le Christ) peut s’avérer plus facile (outre qu’il n’est pas bon de s’aventurer seul dans des entreprises difficiles). Dans le commentaire que saint Jean de la Croix fait de la strophe 3 de son Cantique Spirituel, il nous dit : « Je ne m’arrêterai ni aux consolations, ni aux goûts spirituels… Rien ne pourra m’empêcher de chercher le Bien Aimé par les monts des vertus et des souffrances » (CS A 3, 4)… « L’âme visera uniquement à s’avancer par les monts et les rivages des vertus » (CS A 3, 9). Dans le même ordre d’idées, avec d’autres mots, Antoine de St Exupéry raconte que « Le voyageur qui projette de franchir la montagne en se repérant à partir d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier l’étoile qui le guide » et donc le but qu’elle lui permettra d’atteindre. Marie, guide, étoile de la mer guidant le navigateur, peut faciliter nos ascensions, nos traversées jusqu’au sommet, au port : le Christ, son Fils. Osons lui faire confiance, lui renouveler notre confiance, occasion en ce jour de poser cet acte d’amour filial.

En cette solennité de ND du Mt Carmel, nous pourrions méditer et laisser retentir en nous tout au long de ce jour la prière qui ouvrait la célébration, à la fois profonde et riche d’une si belle justesse théologique : « Tu as donné, Seigneur, à l’Ordre du Carmel la joie de porter le nom de la Vierge Marie, Mère de ton Fils ; puisque nous la fêtons aujourd’hui avec solennité, accorde-nous, par sa protection, de parvenir à la montagne véritable, le Christ, Notre Seigneur. » AMEN

fr. Gérard-Marie de la Trinité
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