Homélie pour Ste Thérèse d’Avila - 15 octobre 2009

donnée au Carmel de Montmartre

Sg 7,7-14 ; Rm 8,14-17.26-27 ; Jn 7,14-18.37-39

Il y a deux semaines nous fêtions sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ; aujourd’hui, nous honorons sainte Thérèse de Jésus (d’Avila). En cette quinzaine d’octobre, les fêtes des deux Thérèse réchauffent et réjouissent la famille du Carmel. Ainsi, bien qu’en automne, la proximité de ces fêtes nous donne de vivre une sorte d’été intérieur : « un été carmélitain ». L’Eglise elle-même, avec la Semaine Missionnaire vient amplifier cela, cherchant à raviver en nous le feu missionnaire qui emplissait le cœur des apôtres. Sur ce registre de la prière tournée vers la Mission, laissons la Petite Thérèse nous éveiller à l’enseignement de la Grande Thérèse. Elle dit ainsi à ses deux « frères missionnaires » : « Je serai vraiment heureuse de travailler avec vous au salut des âmes ; c’est dans ce but que je me suis faite carmélite ; ne pouvant être missionnaire d’action, j’ai voulu l’être par l’amour et la pénitence comme Sainte Thérèse ma Séraphique Mère ». (LT 189, au P. Roulland, 23-06-96) ou encore : « Vous le savez, une carmélite qui ne serait pas apôtre s’éloignerait du but de sa vocation et cesserait d’être fille de la Séraphique Sainte Thérèse qui désirait donner mille vies pour sauver une seule âme. » (LT 198 au P. Bellière, 21-10-96)

1 Donner une dimension missionnaire à la prière, prier pour la Mission de l’Eglise et les apôtres partis au loin, voilà qui était au cœur de la Vocation de Thérèse de Jésus et de son projet de Réforme du Carmel. Comme pour nous aujourd’hui, les défis à relever à son époque étaient nombreux, insurmontables à vue humaine (« Le monde est en feu », disait-elle). Et nous sommes déjà au début de ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation. Songeons plus spécialement à cette mutation culturelle née de l’imprimerie, des grandes découvertes, à cette grave crise qui déchire l’Eglise avec le protestantisme, à ces millions d’âmes qui, au loin, ne connaissent pas le Christ. Tout ceci hante la prière de Thérèse. Et dans ce contexte, la fondation du monastère saint Joseph à Avila qui inaugure la Réforme du Carmel est un acte missionnaire, une réponse spirituelle pratique à cette situation de crise.

2 Et Thérèse se veut encore plus concrète, plus efficace en posant un autre acte, celui de vouloir la Réforme du Carmel masculin, (les sœurs ne pouvant étudier en université ou avoir un apostolat extérieur), associé à un autre souci (face à la division de l’Eglise) : soutenir par la prière les prêtres et les théologiens. Son zèle missionnaire la conduit à ce soutien prioritaire aux prêtres. Elle dit au P. Garcia de Tolédo : « Que Dieu soit glorifié spécialement par les hommes de science. Quand je considère les grandes nécessités de l’Eglise, il me semble que c’est une moquerie que de s’affliger d’autre chose que cela ; voilà pourquoi je ne cesse de recommander à Dieu les théologiens. Je vois qu’une seule personne absolument parfaite et embrasée d’un véritable amour de Dieu serait bien plus utile que beaucoup de tièdes » (Relations 3). Lorsque la Petite Thérèse dit à sa soeur Geneviève que « prier pour les prêtres, c’est faire du commerce en gros, puisque, par la tête, elle atteignait les membres » (CSG 108), elle ne fait tout simplement écho à la Grande Thérèse. Mettre au cœur de son oraison la Mission de l’Eglise suppose une certaine qualité de prière : une oraison humble, fidèle, qui peu à peu nous convertit et nous fait « sel de la terre », afin que celle-ci reprenne goût, vie et espérance. Parlant de la prière pour les prêtres Thérèse de l’Enfant Jésus nous dit : « Qu’elle est belle la vocation ayant pour but de conserver le sel destiné aux âmes ! Cette vocation est celle du Carmel, puisque l’unique fin de nos prières et de nos sacrifices est d’être l’apôtre des apôtres, priant pour eux pendant qu’ils évangélisent les âmes par leurs paroles et surtout par leurs exemples » (Manuscrit A, 56 r°). Cette oraison thérésienne n’est donc pas un « trop plein » qu’on déverse avec condescendance sur le monde. Le P. Marie Eugène dit : « Ce n’est pas un vase qui déborde, mais un bassin dont toutes les vannes sont ouvertes pour féconder le champ de l’Eglise » (Je veux voir Dieu). Les lectures de ce jour (épître et évangile) soulignent cette fonction irriguante de l’Esprit Saint (ses eaux vives et débordantes) qui vient au secours de notre faiblesse. C’est Lui qui fait tout, qui réalimente l’eau du bassin : « Tout ce que nous pouvons faire de bon n’a pas son principe en nous mais dans cette fontaine où est planté l’arbre de notre âme, dans ce soleil qui réchauffe nos œuvres. » (1 Dem. 2/5/). Ou : « Tout doit venir à l’âme du sol où elle plante ses racines ». (7 Dem. 2/9).

3 Enfin la même Thérèse qui, par l’oraison, veut éveiller des désirs brûlants pour la mission au loin, invite à être simultanément missionnaire là où nous vivons, dans les actes les plus ordinaires de nos journées. La vie de baptisé et de confirmé a des devoirs exigeants, elle doit nous rendre disponibles à la mission au loin comme à la mission de proximité. Il s’agit de quitter l’attitude admirative à l’égard des grands apôtres pour être apôtres à notre tour. Thérèse sait cela et devance les objections de ses sœurs. « Vous me direz encore que vous ne savez pas, faute de moyens, rapprocher les âmes du Seigneur ; vous le feriez de grand cœur mais sans pouvoir ni enseigner ni prêcher comme les apôtres, vous ne savez comment vous y prendre ». Elle montre ensuite d’où vient cette tentation : « Le démon parfois nous inspire de grands désirs qui nous empêchent de mettre en œuvre ce qui est à portée de notre main pour servir Notre Seigneur dans les choses possibles, et que nous nous contentions d’avoir désiré l’impossible. » Elle invite alors ses sœurs à être modestes et concrètes : « Sans parler de l’aide que vous apportez avec l’oraison, ne cherchez pas à être utile au monde entier, mais à celles qui vivent en votre compagnie ; votre action ainsi, sera plus efficace, et c’est à leur égard que vous avez le plus d’obligations » (7 Dem. 4/14). Ce qu’elle enseigne à ses sœurs vaut évidemment pour tout chrétien, pour tout état de vie.

L’évangile de ce jour se termine ainsi : « En disant cela, Jésus parlait de l’Esprit Saint, l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (Jn 7, 39a). Oui, en cette solennité de Thérèse, demandons au Seigneur l’Esprit Saint, le don par excellence ; cet Esprit qui brûlait constamment dans le cœur de Thérèse de Jésus. Comme elle, bien sûr, que notre prière devienne toujours plus missionnaire, intercédant pour ceux qui partent au loin ou ceux qui témoignent au milieu de nous. Mais que nous-mêmes nous devenions des missionnaires du quotidien, certains que nos actes les plus humbles, les plus ordinaires sont « très utiles à l’Eglise ». AMEN.

fr. Gérard-Marie

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