Homélie pour Ste Thérèse d’Avila - 15 octobre 2015

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques : Sg 7,7-14 ; Rm 8,14-17.26-27 ; Jn 7,14-18.37-39

« Ce que j’ai appris sans faute, je le communiquerai sans envie, je ne cacherai pas sa richesse » ; « je le partage sans réserve, je ne veux rien dissimuler de ses richesses ». Ces paroles du Sage, que nous avons entendues dans notre première lecture, évoquent pour nous le mouvement des charismes dans l’Église : un charisme, c’est un don que Dieu fait à une personne pour le bien des autres, pour le bien d’une multitude. Si nous sommes en ce jour, au terme de cette année jubilaire du V° Centenaire de sa naissance, réunis pour célébrer la mémoire de notre Mère sainte Thérèse, c’est bien pour cela : tout au long de son chemin de vie, de son chemin de don d’elle-même au Seigneur, elle a appris à toujours plus se tenir devant Dieu et dans l’Église avec les mains ouvertes, pour pouvoir recevoir le don de Dieu et le transmettre.

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Que nous a-t-elle transmis ? – qu’elle ne cesse d’ailleurs de nous transmettre, quelle que soit la façon par laquelle nous sommes en lien avec elle, Fondatrice de notre Ordre, et « Mère des spirituels », selon l’inscription apposée au pied de sa statue dans la nef de la basilique Saint-Pierre de Rome, c’est-à-dire guide sûr pour tous ceux qui désirent avancer sur le chemin de la vie spirituelle.

La première découverte qu’elle a faite et qu’elle nous transmet, c’est celle de l’intériorité : « Nous ne sommes pas vides au dedans » (cf. Chemin 28, 10), « nous avons en nous tout un monde intérieur » (IV° Demeures 1, 9), dont le centre est la présence de Dieu lui-même. Prenons le temps d’écouter ce mystère, de nous y ouvrir. Thérèse – et nous aussi peut-être ? – a longtemps ressemblé à la femme samaritaine qui venait puiser de l’eau en plein midi pour étancher sa soif, qui s’était épuisée aussi à quémander l’amour de six hommes dont sans doute pas un seul ne l’a aimée véritablement. Quand Jésus croise son chemin, il lui révèle que c’est du fond de son cœur que jaillira l’eau vive de l’Esprit d’amour. La source est déjà là, au plus profond de toi : il te faut partir à l’aventure dans ce monde intérieur, pour la découvrir et y boire. La porte et le chemin, c’est l’oraison, cette rencontre intime du Christ, dans le silence de notre cœur, fréquentation qui nous unit à lui, qui nous fait grandir dans la connaissance de Dieu et la connaissance de nous-mêmes.

Connaissance de Dieu et connaissance de nous-mêmes. Voilà bien la deuxième découverte que Thérèse nous transmet. Cette découverte a pris une couleur dramatique, peut-être un jour de l’année 1560, alors que depuis déjà plusieurs années, Thérèse s’était laissée convertir par le Seigneur et qu’elle s’était déterminée à avancer sur le chemin de l’oraison. Mais il fallait que le Seigneur l’ait un peu affermie pour lui donner de vivre cette deuxième découverte. Car elle passe par la révélation de l’enfer, selon les propres mots de Thérèse : « Un jour, étant en oraison, je me trouvai en un instant, sans savoir comment, transportée tout entière dans l’enfer », « le lieu que j’avais mérité d’occuper en enfer à cause de mes péchés » (Livre de la Vie 32). Surtout, oublions nos représentations infantiles de diablotins fourchus qui nous piquent parce que nous avons mangé un carré de chocolat de trop en carême.

Ici, c’est du sérieux : Thérèse découvre que si elle avait été livrée à elle-même, c’est-à-dire sans la grâce de Dieu, elle aurait été capable de rejoindre définitivement un lieu de perdition totale, en même temps que de solitude absolue : « Ici, c’est l’âme qui se déchire elle-même », tout à la fois livrée à elle-même et insupportable à elle-même. L’enfer, c’est cela. Mais pas seulement : Thérèse expérimente que l’enfer, c’est aussi, c’est surtout, le lieu d’où la miséricorde de Dieu l’a délivrée. Il faut peut-être – et cela nécessite un certain courage – avoir touché nos propres lieux de perdition, petits et grands, pour connaître le prix du salut, pour supplier nous aussi : « Donne-moi, Seigneur, de cette eau, que je n’aie plus jamais soif ! » Connaissance de Dieu et connaissance de nous-mêmes, donc, car Dieu ne nous révèle jamais notre misère si ce n’est pour nous révéler dans le même mouvement sa miséricorde, soyons-en bien sûrs.

« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Comment garder pour soi la découverte de la miséricorde ? Comment garder pour soi la révélation du salut ? La Samaritaine, qui venait puiser de l’eau en plein midi pour échapper certainement aux quolibets de ses concitoyens, peut maintenant aller vers eux à visage découvert : son itinéraire de vie, aussi chaotique qu’il soit, n’est plus un motif de honte, mais est devenu un sujet de témoignage, car la rencontre avec Jésus lui a donné sens et guérison. Réconciliée avec Dieu et avec elle-même, la Samaritaine fait la découverte d’une nouvelle fraternité avec ses congénères.

Cette fraternité est la troisième découverte que sainte Thérèse a faite et qu’elle nous transmet. En effet, son expérience spirituelle a engendré aussi une nouvelle forme de vie, celle de nos communautés dont elle a voulu qu’elles soient des fraternités évangéliques, à l’image du collège du Christ, de la maison de Béthanie, de la maison de la Sainte Famille, bref, une maison simple où Jésus se sait et se sent bien accueilli, où il est le centre de l’attention de chacun et de tous. L’aventure de l’oraison ouvre également à l’expérience d’une fraternité universelle, d’une fraternité jusqu’au bout du monde, solidaire des joies et des souffrances de toute personne – guerres de religion et Indiens d’Amérique il y a 500 ans, persécutions des chrétiens d’Orient et nouvelle évangélisation aujourd’hui : il ne s’agit pas tant de faire des listes d’intentions de prière que d’écouter la solidarité que le Seigneur suscite au fond de notre cœur et de crier toujours, dans la confiance et l’espérance, en communion avec tous : « Seigneur, prends pitié ! »

Découverte de l’intériorité, découverte de la miséricorde, découverte de la fraternité : découverte en somme, toujours plus belle, du visage de Jésus, le maître assis au bord du puits – littéralement, assis sur le puits, comme un maître de sagesse assis sur le siège d’où il enseigne – Lui qui est la Sagesse de Dieu en personne. Que Thérèse ne cesse de guider et d’entraîner chacun de nous dans cette aventure, pour que nous la vivions et en soyons à notre tour les témoins ! Amen.

fr. Antony-Joseph de sainte Thérèse de Jésus ocd
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