Homélie pour Ste Thérèse de l’Enfant Jésus - 1er octobre 2014

donnée au couvent de Paris

« Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour que nous vivions par lui. » (1 Jn 4,5b) Comme Thérèse a bien compris cette affirmation extraordinaire de la première épître de Saint Jean ! Accueillir le don de Dieu jusqu’à pouvoir vivre par Jésus. Il est donc possible d’être dessaisi de soi-même par l’amour de Jésus au point de laisser celui-ci vivre en nous ! La petite voie thérésienne, appelée également voie d’enfance spirituelle, est l’expression même d’une vie, qui ne s’appartient plus, parce qu’elle est au Christ. C’est le cœur du message de Thérèse. Il prend sa source dans l’appel que Jésus adresse aux petits et aux humbles afin que ceux-ci se mettent à l’école du Maître doux et humble de cœur. La petite voie nous parle ainsi de Jésus, de sa personne, de son mystère. Elle est le fruit d’une relation intime et vivante avec lui. Sa découverte fut pour Thérèse une véritable expérience de résurrection. Elle souffrait en effet jusqu’à l’angoisse d’une tension douloureuse entre son désir de Dieu et le sentiment de son impuissance à y correspondre.

En recherchant une lumière dans la Parole de Dieu, elle comprît que la Sainteté à laquelle elle aspirait résidait simplement dans une totale confiance en son amour. Notre sainteté est l’œuvre de Dieu et non la nôtre. Le premier pas est donc toujours celui d’une ouverture à Dieu dans l’oubli de soi-même, qu’il s’agisse de notre misère, de nos peurs ou au contraire de nos désirs, voire de nos ambitions spirituelles. Être saint, c’est consentir à la gratuité de l’amour avec une totale confiance. Être saint, c’est s’abandonner comme un enfant dans les bras de Jésus. Être saint, c’est prendre l’ascenseur de la confiance qui nous unit à Dieu par un simple acquiescement. Jésus est la sainteté de Dieu en notre humanité. Il nous suffit d’accueillir sa parole en la gardant en notre cœur, pour le laisser vivre en nous par son Esprit d’amour. La sainteté n’est pas une œuvre humaine, mais un don à recevoir jour après jour dans la foi en l’infinie miséricorde de Dieu révélée dans le Christ.

Le génie spirituel de Thérèse est d’avoir perçu avec une lumière neuve comment le Christ est tout à la fois en son humanité le chemin qui mène à Dieu et en sa divinité le terme qui est Dieu : « Je voudrais trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection.  » (Ms C 3r°) Dès que nous montons dans l’ascenseur, c’est-à-dire selon l’image de Thérèse, dès que nous nous en remettons à Jésus avec confiance, nous sommes déjà unis à Dieu. En Jésus, nous sommes déjà les enfants du Père ! Nul besoin d’appuyer sur le bouton et de choisir l’étage. Dans les bras de Jésus, dans l’ascenseur divin, la communion avec Dieu est immédiatement une réalité  : le Règne de Dieu est parvenu jusqu’à nous pour peu que nous croyions à cette Bonne Nouvelle vécue par Thérèse. La petite voie consiste ainsi à reconnaître en Jésus le Chemin voulu par Dieu pour nous unir à Lui. Nous pouvons oser faire confiance à l’appel de Jésus sans désespérer de notre impuissance face à l’infini de l’Amour.

Petite Thérèse

Pourtant le poids, de la souffrance, de nos faiblesses, de nos refus viennent parfois nous faire douter de notre droit à monter dans l’ascenseur : s’abandonner dans les bras de Jésus avec tout ce poids de ténèbres, est-ce vraiment possible ? Oui, à condition de vivre cette audacieuse confiance tout en faisant humblement le petit pas qui dépend de nous. Discerner où se situe l’engagement de notre liberté, quel que soit le poids des déterminismes que nous éprouvons, c’est refuser la désespérance et s’ouvrir à l’amour en dépit de tout. Certes, Dieu seul peut faire advenir son Règne et pourtant notre collaboration, inefficace en elle-même, est indispensable. Thérèse elle-même s’est posé souvent cette question face à l’abîme qui séparait l’immensité de son désir du caractère dérisoire de ce dont elle était capable : n’était-elle pas dans l’illusion ? Ne faisait-elle pas fausse route ? Mais le Christ n’est pas une illusion. Il est la Vérité et c’est sur cette unique Vérité que Thérèse a pu fonder son audacieuse confiance. La Vérité de Dieu, c’est sa fidélité exprimée dans la vie totalement donnée de Jésus. Cette fidélité n’est pas pour demain. C’est une réalité actuelle capable de susciter notre confiance jour après jour.

Dieu nous aime aujourd’hui, tels que nous sommes. Telle est la bouleversante révélation qui nous est faite en Christ. Sans attendre que nous soyons meilleurs, il nous appelle de manière pressante à croire à son amour. C’est cela le Royaume. Le reste, notre croissance humaine et spirituelle, en découle et nous est donnée comme par surcroît, bien que de manière toujours inachevée en ce monde. Cependant, c’est d’une extrême exigence, car pour accueillir cet amour de Dieu, il faut apprendre à nous aimer nous-mêmes tels que nous sommes ; voilà peut-être ce qui est le plus difficile reconnaît Thérèse, car nous sommes si attachés à l’image idéale de nous-mêmes : nous rêvons tellement d’être autre, que nous ne cessons de nous décevoir. Aussi, la petite voie est-elle véritablement libératrice si elle nous permet d’aimer jusqu’à notre pauvreté !

Pour aller jusqu’au terme de cette voie d’enfance spirituelle, nous pouvons nous confier nous-mêmes à Jésus dans son offrande au Père. Nous n’avons pas à nous laisser arrêter dans cet élan par des scrupules ou un souci de perfection : offrons le bon grain et l’ivraie tout ensemble, car nous sommes incapables de les séparer complètement dans les conditions de la vie présente. En cet acte d’offrande, Dieu purifie peu à peu notre cœur et nous donne de percevoir son action en toutes choses. Pour Thérèse, cette vie d’offrande a connu son point culminant dans la découverte de sa vocation à l’amour au cœur de l’Église. Le récit qu’elle nous en fait dans le manuscrit B entrouvre quelque chose de l’abîme vertigineux qui l’a saisie. Ce fut une expérience de la mort et de la Résurrection, de la Vie divine en Christ, une expérience d’absolue gratuité.

La petite voie est ainsi tout entière en Christ, car cet amour qui s’abaisse jusqu’au néant, c’est celui du Crucifié. Dieu lui-même s’abaisse jusqu’au néant de Thérèse, car celle-ci a accepté son impuissance, sa faiblesse, son imperfection, sa petitesse en l’offrant au feu de l’Amour. Nous touchons là à l’aspect le plus insaisissable de la petite voie. Celle-ci n’est pas une technique, mais la disposition d’un cœur de plus en plus pauvre de lui-même et livré à l’Amour d’un Autre. C’est bien ce qu’elle exprime en son acte d’offrande : « Je veux, ô mon Bien-aimé, à chaque battement de mon cœur vous renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu’à ce que les ombres s’étant évanouies je puisse vous redire mon Amour dans un Face à Face Éternel !… »

Fr Olivier Rousseau ocd
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