Homélie pour la vigile pascale 2010 (Carmel de Montmartre)

« Qu’il ressuscite le troisième jour » (Lc 24,7)

Trois jours, trois petits jours, trois jours mais qu’est-ce donc dans l’histoire de l’humanité et plus encore dans l’histoire du monde ? Trois petits jours et pourtant plus rien ne pourra être comme avant. On pourrait reprendre en chœur un chant que l’on utilise pendant le temps de l’Avent mais qui s’applique admirablement à notre célébration de cette vigile pascale : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né… ».

Trois jours pour changer le monde, cela a commencé Jeudi Saint au soir par un dernier repas pris en petit comité, comité restreint, cela a semblé s’achever sur une Croix devant une foule de voyeurs, une grande foule qui venait assister au spectacle des derniers condamnés à mort, le dernier cru, la dernière promotion – nous ne ferons pas mieux pendant la Révolution française, durant l’épisode de la Terreur – et nous voici déjà au troisième jour. Il a fallu trois jours à Dieu et non plus sept comme dans la première lecture – la Création – pour que le monde reparte de l’avant, que le monde retrouve un sens à son histoire et arrête d’errer d’impasse en impasse. Trente ans de vie cachée, trois ans de vie publique, trois jours d’efficacité. Ce n’est pas très productif pour notre chère société de consommation et encore je n’ai pas comptabilisé les centaines d’années de pédagogie divine à travers tout l’Ancien Testament pour en arriver à aujourd’hui.

Trois jours de rien et qui pourtant contiennent tout. Comment faire pour en découvrir toute la portée, l’enjeu pour les siècles à venir ? Regardez l’Évangile : « Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. C’étaient Marie Madeleine, Jeanne, et Marie mère de Jacques ; les autres femmes qui les accompagnaient disaient la même chose aux Apôtres. Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » On n’est vraiment pas aidés, le constat est accablant, voire même déprimant, notre Église fondée sur les Apôtres. Fallait-il alors en rester là ? Même l’apôtre Pierre ne sort pas du lot, pas très brillant lui aussi, vous l’avez tous entendu : « Pierre cependant courut au tombeau ; mais en se penchant, il ne vit que le linceul. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui lui était arrivé. » L’affaire semblait pliée, trois jours pour solder cette histoire et repartir à notre vie d’antan, recommencer à errer dans nos petites vies avec nos petits arrangements.

Tout s’est écroulé, tous les espoirs se sont envolés, il ne reste rien, rien de rien et de ce rien, par ce rien, dans ce rien, Dieu va donner sens à notre histoire. Il faut avoir suivi le Christ jusqu’au bout, avoir peiné avec lui sur le chemin, avoir buté, trébuché sur les pierres qui jalonnent le chemin, avoir douté, pleuré, crié pour pouvoir maintenant entrer dans le temps de Dieu. Dieu s’empare de l’histoire et s’y inscrit pour que celle-ci, non pas se finisse en happy-end comme dans les jolis contes de notre enfance, mais pour que l’espérance ait toujours le dernier mot. Les espoirs sont enterrés, ils sont morts sur la Croix du Christ, ensevelis dans le tombeau et n’en sortiront pas, mais une espérance en cette vigile vient de naître. Une espérance qui brise les portes de la mort, qui fait voler en éclats les verrous de la mort, une puissance inouïe de vie surgit, une explosion de vie ! Dans cette nuit pascale, la vie s’est manifestée, a jailli du tombeau. Espérance que la vie est plus forte que la mort, comme le clame avec une force incroyable saint Paul dans son épître aux Romains (8,38-39) : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » La Vie est là, éclatante, resplendissante, la lumière brille dans les ténèbres de nos nuits comme nous le signifie le Cierge Pascal. Trois jours de rien, trois jours comme cela, l’air de rien, en passant, mais par lesquels il nous faut passer, il nous faut entrer si nous aussi voulons participer à la vie du Christ. Alors oui, trois grands jours qui valent le coup, qui concentrent en eux toute la présence de Dieu, un Dieu à genoux qui lave les pieds de ses disciples puis qui se donne en nourriture pour finir dans un don ultime sur un morceau de bois, une vulgaire Croix dressée là sur le chemin. Dans ce sacrifice ultime, ce don total de tout son être, la mort est vaincue, elle est dorénavant à ses pieds et le Christ désormais nous entraîne à sa suite, il nous fait franchir les portes de la mort pour nous donner sa vie.

Oui, trois jours de rien mais pas trois jours pour rien, rendons grâce à Dieu de nous faire entrer dans sa vie, sa vie éternelle, suivons-le d’un pas léger, dans l’espérance que la vie est plus forte que la mort, oui Christ est ressuscité des morts. La mort est désormais anéantie, la Vie triomphe et nous y participons tout simplement dans cette Eucharistie. Amen.

fr. Christophe-Marie, ocd
Revenir en haut