Dieu ne nous oublie pas (1èr dim. de carême 21/02/21 )

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Gn 9, 8-15 ; Ps 24 (25) ; 1 P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15

Dans le contexte de grave crise sanitaire et écologique que nous vivons, le texte de la Genèse sur l’Alliance de Dieu avec la terre après le désastre du déluge est particulièrement providentiel pour entrer dans ce carême 2021. Le Dieu biblique est le Dieu de l’Alliance ; c’est le Maître mot de notre texte où il apparaît à cinq reprises. Dieu, loin de vouloir préserver jalousement sa transcendance, s’est lié à l’humanité par une succession d’Alliances. L’Alliance avec Noé a cela de particulier qu’elle est unilatérale ; une alliance implique normalement deux protagonistes qui établissent entre eux un contrat avec des engagements de part et d’autre.

Pour l’Alliance avec Abraham, ce fut la circoncision. Pour l’Alliance avec Moïse, ce furent les dix commandements. Ici, Dieu s’engage sans rien demander en contrepartie : c’est parfaitement gratuit ! Cette gratuité est d’autant plus remarquable qu’elle fait suite à l’échec de la première création. Le refus des limites posées par Dieu au Jardin d’Eden a plongé l’humanité dans le règne de la convoitise et de la violence. L’Alliance avec Noé renouvelle le don originel, mais cette fois de manière inconditionnelle : le maître mot ici est le verbe se souvenir ; lorsqu’après quarante jours de pluie, la crue des eaux eut tout submergé, Dieu se souvint de Noé (Gn 8,1). C’est le point de départ de la décrue au terme de laquelle Dieu donne le signe de l’arc dans les nuages afin de se souvenir de sa promesse de ne plus détruire la terre. Dieu a compris que l’homme serait incapable de respecter les clauses de son Alliance ; désormais aucune rupture d’Alliance ne parviendra pas à décourager sa fidélité. Tandis que les humains ne cessent de l’oublier, Dieu ne les oublie jamais. Le souvenir est l’autre nom de la fidélité et de l’amour de Dieu, comme le déclare le psalmiste : « Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours. En raison de ton amour ne m’oublie pas. » (Ps 25,6-7b) La gratuité du don de Dieu se découvre en son inépuisable pardon. Cette Alliance est universelle : non seulement elle est en faveur de tous les humains, mais elle concerne tous les êtres vivants sur la terre. La crise environnementale dans laquelle nous nous enfonçons nous fait prendre conscience de l’urgence de nous convertir à cette Alliance en mettant en œuvre l’écologie intégrale promue par le Pape François.

La Parole d’alliance par excellence est celle que Dieu adresse à Jésus lors de son baptême : « tu es mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour ». Cette alliance fondée sur la paternité est, elle aussi, unilatérale, inconditionnelle et universelle également au sens où tout être humain est fils ou fille de quelqu’un. Jésus est propulsé par l’Esprit au désert pour intérioriser durant quarante jours dans un dépouillement radical cette parole d’Alliance inouïe que Satan vient mettre à l’épreuve : va-t-il consentir à la vulnérabilité de son humanité en ce lieu hostile ou, fort de sa condition divine, va-t-il chercher à se sauver lui-même ? Son combat consiste à renoncer à toute action pour demeurer filialement dans un abandon confiant à la volonté du Père. Jésus ne jeûne pas, car mieux qu’Elie nourri par un corbeau, il est servi par les anges du ciel. Dans un environnement qui semble menaçant, les bêtes sauvages ne lui font en réalité aucun mal. Loin de ressortir épuisé par cette épreuve, il quitte le désert plein de dynamisme pour proclamer la proximité du Règne de Dieu. Le lieu du dépouillement s’est révélé être celui de la plénitude où tout est reçu gratuitement comme un don.

Suivre Jésus au désert, c’est croire en l’amour du Père au sein même de l’épreuve  ; c’est consentir au combat de la foi pour remettre entièrement notre vie à Dieu ; c’est consentir à la précarité de notre condition humaine pour faire l’expérience de la Providence : Dieu ne nous oublie jamais ! C’est recevoir filialement ce qui nous est nécessaire comme un don du Père. C’est être libéré de la peur et ne pas craindre les fauves puisque tout nous est donné. Pour que notre marche au désert soit un lieu de renaissance à la vie de l’Esprit reçu au baptême, discernons dans notre existence ce qui est don de Dieu dans notre vie. Reconnaissons aussi ce qui nous fait oublier l’amour de Dieu, ce qui entrave notre vie relationnelle, ce qui étouffe notre capacité d’émerveillement, ce qui décourage notre volonté de traverser les épreuves. Le désert est ce lieu de dépouillement où la précarité de l’existence est assumée avec confiance dans l’abandon à Dieu en vue de vivre toutes choses avec lui. C’est ainsi que nous apprendrons à accepter joyeusement les limites d’une vie compatible avec les ressources réelles de la création. Si les hommes se contentaient de ce qui leur est nécessaire et partageait leur superflu, il n’y aurait plus de misère et nous cesserions de ruiner notre maison commune. Soyons lucides ! Nous sommes entrés pour longtemps dans une phase de turbulences climatiques, mais aussi économiques, sociales et sociétales. En choisissant l’essentiel à la suite de Jésus, ce combat qui nous dépasse sera source de vie, de confiance, d’émerveillement et de joie pour l’Alliance irrévocable de Dieu avec notre terre. Que ce carême nous donne d’entrer pleinement dans cette Alliance : « Les temps sont accomplis ; le Royaume de Dieu est tout proche ; convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. » (Mc 1,15)

Fr. Olivier-Marie Rousseau, ocd - (couvent d’Avon)
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