12e Dimanche TO, Marc 4, 35-41

C’est dans la tempête qu’on reconnaît les marins ; c’est dans l’épreuve que se fortifie la foi des baptisés. Où que se lève l’ouragan, dans l’Eglise, dans notre famille ou notre communauté ou dans notre propre vie, une même question nous est posée par le Christ : « Crois-tu que je suis capable de commander aux vents et à la mer ? »

Des tempêtes, certes l’Eglise en essuie de rudes, depuis quelques années : depuis quelques siècles, depuis toujours, et pourtant elle nous défend de céder à la peur. L’Église de Jésus n’a pas le temps d’avoir peur, car la charité du Christ la presse, et le seul danger pour elle serait de n’être plus le sel de la terre, la lumière du monde, la ville de la montagne qui reçoit la première la lumière du soleil levant et vers qui tous les voyageurs « hâtent leur marche ».

L’Église ne connaît pas la peur, parce que la peur ne construit rien, et qu’à force de dénoncer les périls on en viendrait à ne plus rien oser pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Or l’Église, qui doit construire ici-bas, avec des millions de pierres vivantes, le seul temple spirituel digne de Dieu, ne se laissera jamais dépouiller de son assurance et de sa hardiesse ( la παρρησία de St Paul), parce que la puissance du Père est à l’œuvre en elle : « Non, il ne dort ni ne sommeille, le Gardien d’Israël », parce que le Fils de Dieu son Epoux lui a promis qu’Il serait avec elle tous les jours jusqu’à la fin des temps et que jamais les forces du mal ne la feraient chavirer dans sa foi et son espérance, parce que l’Esprit Saint l’habite, qui renouvelle chaque jour sa jeunesse : et la mène avec force et douceur, jusqu’à la vérité tout entière, selon la promesse de Jésus.

Des tempêtes s’élèvent aussi parfois dans cette Eglise en petit qu’est notre foyer, notre paroisse ou notre communauté. Tempêtes silencieuses, contrecoup des conflits d’idées qui agitent le monde, malaise collectif, lorsqu’on sent trembler le sol de la saine tradition, désaccords sur les options à prendre, ou rupture du contrat fraternel ; réactions passionnelles des personnes et des groupes qui sentent leur sécurité menacée, leurs habitudes contestées, leurs certitudes mises en question.

Comment nous étonner de cela, alors qu’un monde neuf naît tous les jours sous nos yeux, alors que la tension entre le passé et l’avenir travaille douloureusement l’Église de Jésus, la forçant à créer pour rester fidèle au Créateur ?

Notre premier réflexe nous fait crier :« Seigneur, au secours, nous périssons ! », comme si nous risquions quelque chose quand le Christ est là, comme si sa vérité n’était pas assez éclatante pour tout illuminer ! Mais Jésus ne veut pas de peur dans sa barque : il nous demande au contraire de continuer à manœuvrer bien ensemble, et d’affronter les vagues bien en face, l’une après l’autre ; car l’amour parfait bannit la peur, et le monde que l’Esprit Saint est en train de renouveler exige, des apôtres et de tous les témoins de l’Évangile, qu’ils soient forts dans la foi, adultes dans l’espérance, et que, pour cela, ils se réconcilient avec l’insécurité.

Tempêtes, enfin, dans notre vie personnelle, au cours de cette longue traversée qui mène du péché à Dieu, et où nous revivons le mystère pascal de Jésus. Tempêtes habituelles, auxquelles nous sommes aguerris ; tempêtes inattendues, qui dévoilent brutalement nos limites et notre fragilité, qui viennent détruire sans ménagements nos illusions spirituelles et l’image complaisante que nous nous faisons de notre fidélité.

Nous les connaissons, ces orages, ces coups de chien de la vie quotidienne, qui nous jettent, désemparés, au fond de la barque, ayant perdu tout espoir humain de rejoindre le port. C’est alors que monte de notre cœur une vraie prière de pauvre :« Des profondeurs de ma misère je crie vers toi, Seigneur … Mon sacrifice à moi, c’est un esprit brisé : d’un cœur broyé, Seigneur, tu n’as pas de mépris ! » Et la voix du Christ nous parvient, là, dans notre détresse : « Pourquoi as-tu peur, homme de peu de foi ? Je te laisse ma paix, je te donne ma paix ».

Mais n’allons pas confondre cette paix de Jésus avec notre tranquillité car Jésus ne donne pas sa paix comme le monde la donne. La paix selon le monde est souvent une paix de compromis, une paix toute faite, une paix paresseuse. Celle de Jésus est une paix exigeante, une paix à faire et à bâtir, en nous autour de nous. Elle est un engagement dans l’histoire du salut, avec la force de Dieu.

Si nous disons oui à cette paix active, si nous devenons, là où nous sommes, des artisans de paix, alors, avec le Christ nous commanderons aux vents et à la mer, et il se fera un grand calme.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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