2e dimanche de Carême –A-

En ce temps de carême, avec le récit de la Transfiguration, nous sommes invités à orienter notre regard vers la gloire qui nous est promise et qui resplendit sur le visage du Christ. Ainsi, Saint Paul nous l’annonce : « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible à nos yeux, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile. » Mais cette affirmation de saint Paul peut nous surprendre. Comment l’annonce de l’Évangile peut faire resplendir la vie et l’immortalité ?

Pour beaucoup, aujourd’hui, le mot évangile renvoie au texte des quatre Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean. L’Évangile serait le récit de la vie et du message de Jésus sous quatre formes transmises par la Tradition. D’origine grecque, le mot évangile se traduit généralement par bonne nouvelle, mais, une fois traduit, il perd une bonne part de sa signification symbolique et théologique. En effet, si l’on s’attache au sens français, Évangile signifie que le message de Jésus est une bonne nouvelle.

Si tel était le cas, comment entendre et comprendre les paroles difficiles ou ruptures de Jésus, et même les béatitudes qui exaltent ceux qui sont pauvres, persécutés ou qui pleurent. Certaines paroles de Jésus qui nous invite au renoncement, ou qui annonce des persécutions, sont-elles vraiment des bonnes nouvelles ? Certes, de justes interprétations de ces paroles difficiles de Jésus nous en montrent la vérité et la force, mais peut-on dire que ce sont aussi de bonnes nouvelles ? Et suffit-il d’annoncer la Parole de Dieu pour faire resplendir la vie ?

Dans le contexte de la culture antique, grecque et romaine, le terme évangile avait un sens bien particulier que nous avons perdu aujourd’hui. Le mot évangile était employé dans le contexte de la guerre, il s’agissait de la bonne nouvelle de la victoire. Après une bataille, un soldat était envoyé pour annoncer la ‘bonne nouvelle de la victoire’ au roi resté en arrière. Le plus connu de tous est celui qui courut plus de 42 km vers Athènes pour annoncer la victoire des athéniens à Marathon contre les Perses, course devenue légendaire ! Nous trouvons un écho de cette tradition antique particulièrement au second livre de Samuel quand on annonce à David les victoires sur ses ennemis (2 S 4,10 ; 2 S 18, 19-27). Ou encore dans le livre du prophète Isaïe (52,7) : « Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la paix, le messager de la bonne nouvelle, qui annonce le salut ».

Avec cette dernière citation, le prophète élargit la notion de la bonne nouvelle de la victoire à la libération d’Israël. L’expérience de la délivrance d’Israël, du retour de l’exil, constitue pour Isaïe une bonne nouvelle plus extraordinaire que toutes les victoires militaires. Ainsi, dans le contexte biblique, la bonne nouvelle devient l’annonce de la victoire du salut apporté par le Seigneur et que réalisera le Messie. D’où la parole de ce même Isaïe : « L’esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres ».

La mission du Messie est d’apporter la bonne nouvelle de la victoire du Seigneur sur le mal et la mort ainsi que nous le montre un commentaire juif ancien : « En ce temps-là, le messie montera et apportera la bonne nouvelle à ceux qui dorment dans le double séjour des morts. Il leur dira : ‘Abraham, Isaac et Jacob, debout ! Assez dormi !’. Ils lui répondront en disant : ‘Qui est celui-là qui nous a débarrassés de la poussière ?’. Il leur dira : ‘Je suis le messie de YHWH. Le salut s’est approché. L’heure est proche !’. Ils lui diront : ‘S’il en est ainsi, va et porte cette bonne nouvelle au premier homme, afin qu’il ressuscite en premier lieu’. Aussitôt le premier homme ressuscitera ainsi que toute sa génération, puis Abraham, Isaac et Jacob, puis tous les justes, tous les ancêtres de toutes les générations d’une extrémité de la terre à l’autre. Ils feront tous entendre leurs cris d’allégresse et leurs chants, car il est dit : ‘Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds de celui qui apporte la bonne nouvelle’ » (Midrash Pirqué Mashiah). Merveilleux texte qui nous montre, s’il en était encore besoin, comment Jésus réalise pleinement les attentes d’Israël.

Ainsi, nous voyons pourquoi il est réducteur dans notre contexte culturel actuel de traduire le mot Évangile simplement par bonne nouvelle. Car nous perdons une bonne partie du sens théologique. Il faudrait traduire au moins par bonne nouvelle de la victoire de Jésus, ou bonne nouvelle du salut apporté par Jésus. Car l’Évangile de Jésus n’est pas simplement son enseignement qui nous est rapporté par le texte des quatre Évangiles, mais plus largement l’œuvre de salut accompli par son mystère pascal et auquel nous sommes appelés à participer.

Nous comprenons mieux alors le sens et la portée de la citation de saint Paul, la vie et l’immortalité nous sont annoncées dans l’Évangile, c’est-à-dire dans la résurrection de Jésus qui est la bonne nouvelle de sa victoire sur la mort. Cette grâce du salut a été visible en Jésus au jour de sa résurrection, et le resplendissant de sa gloire a été anticipé au jour de la Transfiguration.

En ce temps de carême, nous sommes invités non seulement à entendre la Parole de Dieu, mais à accueillir la Bonne Nouvelle de sa victoire sur le mal, sur la mort, à participer à son œuvre de salut. « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible à nos yeux ». Croire en l’Évangile, c’est accueillir cette vie immortelle qui resplendit sur le visage du Christ au jour de sa résurrection.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

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