Textes liturgiques (année B) : Ac 9, 26-31 ; Ps 21 (22) ; 1 Jn 3, 18-24 ; Jn 15, 1-8
« Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruits ». Entendant cela, nous pensons spontanément à notre relation personnelle avec le Seigneur, Jésus nous invite à puiser en Lui la sève de son Amour pour porter du fruit. Cette dimension vitale de notre relation à Dieu est essentielle, et elle donne sa dignité à la personne humaine. Cette communion avec la vie divine manifeste le mystère de l’homme, à savoir qu’il est essentiellement un être spirituel, ce qui fait de lui un être à part dans la création. Il y a en l’homme quelque chose qui dépasse l’homme. Certes nous ne sommes pas de purs esprits, comme tous les vivants, nous avons un corps et une vie biologique. Mais ce qui distingue l’être humain, c’est cette dimension spirituelle. Tout homme a une vie spirituelle qui s’exprime naturellement par la recherche philosophique et religieuse, par la recherche du sens de la vie, du pour quoi de l’existence.
Le matérialisme, théorique ou pratique, corrompt l’homme en niant sa dimension spirituelle, en le réduisant à sa dimension biologique, productiviste et consumériste, nous ne serions qu’un animal parmi les autres. Sans cette dimension spirituelle, d’une certaine manière, nous perdrions notre dignité humaine. Jésus le souligne de manière imagée : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu’on a jeté dehors, et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent ! ». En n’honorant pas l’origine divine de la vie, par une vie spirituelle réelle, cette sève divine qui irrigue notre existence se tarit, et dès lors, nous perdons aussi notre dignité qui nous distingue des autres créatures. En proclamant la vocation spirituelle de l’humanité, nous voulons préserver sa dignité. La reconnaissance de cette dignité unique de l’être humain, du fait de son origine en Dieu et de cette présence de Dieu au cœur de l’homme, n’a pas seulement des conséquences personnelles, comme le rappelle la récente déclaration sur la dignité infinie de la nature humaine du Dicastère pour la doctrine de la Foi.
Nous sommes invités à nous tourner vers cette source divine pour que nous vivions de cette sève. Nous prions, nous entrons en relation avec Dieu pour nourrir et développer cette présence divine en nous. « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruits ». Prendre le temps de la relation avec Dieu, ce n’est pas de la simple religiosité, ni rendre un culte à une divinité qui l’exigerait, c’est reconnaître la nécessité vitale pour l’être humain de puiser à la source de la vraie vie, de la lumière et de la sagesse pour en être vivifié comme les sarments par la sève de la vigne. Perdre la dimension spirituelle a des conséquences personnelles et sociales, car en nous coupant de la vie divine, nous atrophions notre être, nous nous desséchons intérieurement et perdons le sens de l’existence. Ainsi, le matérialisme est victorieux, et l’être humain perd la conscience de son originalité au sein de la création, il n’est plus qu’une unité de production de richesses et de consommation. C’est pourquoi la prière n’est pas simplement un acte personnel qui nous met en relation avec Dieu, c’est aussi un acte contestataire envers la société en exprimant notre dignité. On ne peut nous réduire à une fonction de production de richesses et de consommation.
Une société où le questionnement religieux et philosophique est absent enferme l’être humain dans un horizon matérialiste. Alors, l’homme est livré à lui-même, il a du mal à trouver un sens à sa vie au-delà des satisfactions hédonistes, il recherche seulement à accumuler des richesses pour oublier le vide de l’existence. Ainsi ce matérialisme déshumanise l’individu et la société, dessèche les cœurs et accentue la violence entre ceux qui ont et veulent préserver leur bien et ceux qui ont moins et voudraient le leur prendre. Violence des relations humaines, vide de l’existence, notre pays n’en est-il pas déjà arrivé à ce point ?
Alors, nous les minoritaires dans notre société, les catholiques encore pratiquants et qui prenons le temps de la prière et de la réflexion spirituelle, nous sommes les véritables révolutionnaires et contestataires. Le croyant, et plus singulièrement le priant, interpelle le monde d’aujourd’hui pour lui révéler ce qu’il voudrait souvent oublier : il y a une vie spirituelle et une vie éternelle ! Sans vouloir condamner nos contemporains ni imposer d’une quelconque manière notre foi, nous ne pouvons pas nous résoudre à disparaître de la vie sociale, car la foi et la question religieuse ne sont pas seulement des questions d’ordre privé, mais elles engagent une vision de l’être humain, une compréhension de sa dignité inaliénable. Nous voulons témoigner de la proximité et de la bénédiction de Dieu pour tous les vivants.
D’ailleurs, St Jean dans la seconde lecture nous invite non seulement à demeurer en Dieu, à vivre une relation personnelle avec Lui, mais aussi à nous engager dans un style de vie : demeurer en Dieu, partager sa vie et son amour, pour savoir le rayonner. « Voici son commandement : avoir foi en son Fils Jésus-Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé ». La vie divine en nous ne se respecte pas seulement dans une vie de prière, mais aussi dans un engagement concret, l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs s’exprime et se renforce dans notre amour concret pour nos frères et sœurs : « N’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. Voilà comment nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous apaiserons notre cœur ».
Être et devenir chrétien aujourd’hui n’engage pas seulement notre vie personnelle. Reconnaître que notre vie vient de Dieu et retourne à Lui, se tourner chaque jour vers l’Amour Trinitaire pour apprendre à aimer en acte et en vérité, cette attitude spirituelle est un engagement révolutionnaire dans notre société matérialiste. Nous ne pouvons pas accepter une sécularisation qui veut limiter la foi et la religion à la sphère strictement privée, car la question de Dieu comporte aussi la question de la dignité humaine. Témoigner et rayonner de la présence de Dieu, c’est notre manière de révéler à nos contemporains la grandeur de la vocation humaine, ce que nous dit Jésus à sa manière : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruits : ainsi, vous serez pour moi des disciples. » Amen !
Fr. Antoine-Marie Leduc - (Couvent d’Avon)