Histoire du salut (Homélie Epiphanie 07/01/2024)

Textes bibliques : Is 60, 1-6 ; Ps 71 (72) ; Ep 3, 2-3a.5-6 ; Mt 2, 1-12

Nous célébrons, Frères et Sœurs, en ce jour une rencontre insolite entre des étrangers venus de loin et un enfant de pauvres dans une bourgade de Judée. Nous célébrons une rencontre savamment désirée, patiemment scrutée dans l’abîme étoilé, rudement poursuivie sur des chemins terrestres. Au terme d’un long voyage, la procession finale, la prosternation silencieuse, la triple oblation nous donnent de contempler l’avènement de Dieu en notre terre, la manifestation de son amour en notre histoire. Depuis la création du monde, Dieu nous a fixé rendez-vous en un lieu, en un temps, en ce jour, ici-même, sa Parole éternelle se donne en l’Emmanuel, Dieu avec nous.

Mais pour qu’un rendez-vous ne soit pas manqué, il faut que les protagonistes soient informés à la fois quant à la date et quant au lieu. En soi, c’est assez simple, mais dans le cas présent, des mondes totalement étrangers l’un à l’autre, le monde païen et le monde juif, doivent se rencontrer pour que surgisse la Révélation de Dieu. Le dispositif mis en œuvre pour cela est surprenant : les Mages ont connaissance uniquement du moment de la rencontre et cela par le surgissement d’une étoile ; les juifs ont connaissance seulement du lieu, Bethléem en Judée, et cela par l’entremise des prophètes.

Dieu semble prendre plaisir à brouiller les cartes et à inverser les rôles. Comment se fait-il que le peuple des Prophètes, le peuple de l’Alliance et de l’histoire, le peuple juif ne connaisse que le lieu, et ne sache rien du moment ? Comment se fait-il que ce moment historique soit révélé à des païens que la vision cyclique d’un temps astral attache à l’espace, domaine du perpétuel retour des choses ? La science des sages devient messagère de l’Histoire sans savoir où elle celle-ci s’accomplit tandis que la Parole prophétique indique le lieu de la naissance sans savoir en quel temps elle doit survenir. Nul ne peut ainsi reconnaître le Roi-Messie et l’Enfant Dieu sans que la sagesse païenne ne rencontre les Ecritures juives tant les rôles sont enchevêtrés dans cette histoire du salut qui concerne indissociablement Israël et les Nations.

Dieu nous donne donc rendez-vous, Frères et Sœurs ! Mais l’indication du lieu et du temps ne suffit pas pour qu’une rencontre se réalise effectivement ; encore faut-il se mettre en route et c’est là qu’une inquiétante distorsion s’opère dans le récit. A la vue de l’étoile, les Mages sont partis. A Jérusalem, dès qu’ils reçoivent l’indication du lieu, ils s’y rendent en hâte, tandis que personne ne bouge dans la ville sainte. Hérode inquiet ne s’informe du moment de la naissance qu’en vue de préparer le massacre des enfants de Bethléem. Aussi, la scène de l’Adoration des Mages est-elle emprunte de gravité : procession, prosternation, offrande ont lieu dans un religieux silence. Aucun ange ici ne proclame la Gloire de Dieu. L’évangile mentionne simplement qu’une très grande joie habite leur cœur, non pas à la vue de l’Enfant, mais à la vue de l’étoile. La rencontre de la sagesse humaine avec la Parole des prophètes les comble de bonheur. L’étoile apparue aux païens dans l’ordre de la création et la Parole gardée par Israël dans l’ordre du salut concourent ensemble à la révélation du Messie : voyant l’enfant avec Marie, sa mère, en ce lieu désigné par la voix des prophètes, en ce jour attesté par la voix du cosmos, les Mages se prosternent et offrent leurs présents.

Mais aujourd’hui encore, Frères et Sœurs, Hérode est jaloux de son pouvoir. Il veut empêcher cette rencontre en opposant la raison à la foi, la science à l’Ecriture. Il dispose pour cela de puissants moyens de communication pour nous abreuver de rationalisme et de matérialisme et étouffer ainsi dans les cœurs toute enfance divine. Pourtant, jamais la science n’a permis aux croyants de mieux lire les Ecritures ; jamais la culture ne nous a offert autant de moyens d’en sonder les inépuisables richesses. Sachons accueillir, Frères et Sœurs, la grâce de notre temps pour approfondir notre intelligence des mystères de la foi. Que notre cœur s’emplisse ainsi d’une très grande joie à la rencontre de la Parole et de la Sagesse de Dieu vers laquelle l’étoile du désir qui monte dans nos cœurs nous conduit aujourd’hui.

Frère Olivier Rousseau - (Couvent d’Avon)

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