Homélie 11° dim. TO : le pouvoir de la miséricorde

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : 2S 12,7-13 ; Ps 31 ; Ga 2, 16-21 ; Lc 7, 36 - 8,3

A l’écoute des textes de ce dimanche, on a envie de dire avec le psalmiste, « L’amour du Seigneur entourera ceux qui comptent sur lui. Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes ! Hommes droits, chantez votre allégresse ! » Oui ces textes nous unissent à tous les hommes droits et justes pour chanter la miséricorde du Seigneur à travers les âges. On a bien envie de se demander qui sont ces hommes et ces femmes qui ont été déclarés justes et droits aux yeux de Dieu ?

A côté de la figure de Jésus qui est le juste par excellence, les textes du jour nous présentent trois autres figures, celle de David, de Paul et d’une femme dont on ne connaît pas le nom, sinon que celui de pécheresse. Mais à y voir de près peut-on vraiment appeler ces personnes des hommes justes et des hommes droits ? Selon nos catégories, elles seraient loin d’être justes et droites. Car David a commis deux péchés d’une gravité non négligeable : l’adultère et le meurtre. Saint Paul dans la défense de sa religion a approuvé le meurtre d’Étienne. La femme dont on ne connait pas le nom, il suffit de pénétrer dans la pensée de Simon le pharisien pour se rendre compte qu’elle n’est qu’une « pécheresse ». Pourtant l’Église nous invite à voir en ces visages, des modèles de personnes droites et justes. On a l’impression que nous allons à contrecourant des normes.

En effet comme dit le Seigneur, « mes pensées ne sont vos pensées et vos voies ne pas mes voies. » Les trois textes nous invitent à un renouvellement du regard que portons sur nous-mêmes et sur l’autre, afin de mieux comprendre ce qu’est l’homme droit et l’homme juste aux yeux de Dieu. En lisant l’évangile, on peut sans crainte affirmer que l’humble reconnaissance de sa situation vaut mieux qu’un jugement prématuré sur la situation de l’autre. Alors que Simon dans une fière idée qu’il a de lui-même, pense être droit et juste. Jésus rappelle que si l’on veut s’exprimer en rigueur de termes, Simon n’est lui-même pas en accord avec les habitudes coutumières de son peuple. Car le minimum coutumier consistant à laver les pieds de son hôte et à verser de l’huile sur sa tête n’est pas respecté.

Le plus surprenant dans l’attitude de Simon, ce n’est pas d’avoir ‘‘oublié’’ cette coutume, mais plutôt d’avoir tellement fixé sa pensée sur la condition fragile de la femme, qu’il ne se rendait pas compte que la démarche de la femme vient pallier ce qui manque à l’accueil qu’il a réservé à Jésus. Oui, le jugement trop précaire, ou pour mieux dire, la fixation qu’une personne fait de l’autre, l’empêche de jeter un regard humble, juste et droit sur son histoire et sur sa propre personne. Le grand risque d’un tel regard sera peut-être de devenir l’esclave du devoir de sa propre loi en sous-estimant le pouvoir de l’humilité, et de passer à côté de l’essentiel. De cette première remarque de Jésus, on peut tout de suite saisir, que l’homme juste et droit, c’est moins l’homme esclave de la loi que l’homme qui, du fait d’une reconnaissance de sa propre fragilité, sait poser un regard de confiance et d’espérance sur les autres.

La perfection à laquelle l’homme aspire n’est possible que si cette perfection humaine est elle-même comprise comme le lieu où s’entremêlent désirs de rupture et de continuité et ouverture au pardon. Désir de rupture avec ce qui peut autant détruire le sujet que blesser la société toute entière. Désir de continuité dans la voie d’espérance et de charité initiée par Dieu. Entre ces deux désirs, celui de la rupture et de la continuité, se situe le pardon. Cette force libératrice qui nous propulse dans les bras de Dieu, nous ouvre à une juste appréciation de nous-mêmes et nous met en confiance avec les autres. Nous avons dit confiance ! c’est-à-dire ‘‘se fier en’’, ‘‘avoir foi en’’. Oui, pardon et confiance vont de pair. Ils sont deux faces d’une même médaille. Voilà pourquoi après avoir accordé le pardon à la femme, Jésus pourra lui dire « Ta foi t’a sauvé. Va en paix !  »

Le pardon est avant tout un acte de foi. Accepter de pardonner ou de demander pardon, à l’autre, c’est se fier à lui ; c’est lui dire qu’on fera toujours route avec lui ; c’est lui dire qu’on accueille avec lui la vie pour une continuité relationnelle libre dans l’amour. Accepter de se pardonner soi-même, c’est accepter de briser les chaines d’un passé qui nous empêchent de nous épanouir, pour saisir la main d’espérance de Dieu. Bien plus qu’une formule, cette vérité se réalise dans la finale de l’Évangile.

Comme nous le voyons en effet, après la scène dans la maison de Simon, Jésus poursuit son itinéraire avec les douze accompagnés d’un groupe de personnes à qui il avait témoigné la Miséricorde de Dieu. Ces personnes libérées par la puissance du Pardon, sont devenues pour nous des personnes justes et droites non pas en ce sens où elles connaitront une vie sans aucune tâche, mais dans le sens où n’ayant plus peur de se tromper, elles prennent désormais le risque de la mission. Les lois ne sont plus pour elles motif de condamnation, mais éléments de liberté, car la miséricorde ne s’enferme pas dans la Loi. La justice et la droiture résident désormais pour elles dans un témoignage de vie qui les fait sortir d’elle-même pour aller à la rencontre du prochain.

On comprend dès lors le propos de Jésus lorsqu’il affirme que «  celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ». Ayant fait l’expérience d’un pardon total, ces personnes se sont réconciliées avec elles-mêmes et ne sont plus aliénées par le jugement d’autrui. Elles ne font pas seulement que donner de leur temps à l’annonce de la Bonne Nouvelle, mais elles mettent désormais ce qu’elles sont et ce qu’elles ont au service de cette bonne cause. Telle est le pouvoir libérateur du pardon : il redonne vie, brise les barrières, donne une meilleure appréciation de sa personne et de celle du prochain et ouvre à l’espérance.

A chacun de nous le pardon de Dieu ne fait jamais défaut. Il attend tout simplement que nous nous ouvrons à cette communion d’amour afin de favoriser à notre tour des relations d’amour et de pardon. Nos sociétés et nos familles ont parfois besoin de se réconcilier avec elles-mêmes, cela passera certainement par le renouvellement du regard que nous portons les uns sur les autres et par le pardon mutuel que nous nous accordons les uns les autres.

fr. Elisé Alloko, ocd (Couvent de Paris)
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