Homélie 4e dim. Carême : ce qu’est la Miséricorde

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : Jos 5, 9-12 ; 2 Co 5,17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32

C’était hier : répondant à l’appel du pape François à prendre 24 heures pour le Seigneur au cours de cette année de la Miséricorde, les petits groupes qui se dirigeaient vers l’Eglise Notre Dame des Champs discutaient sur une question : « Quelle définition donnons-nous à ce mot de miséricorde ? » Grande a été la diversité des réponses et l’on peut penser qu’il en aurait été de même si la question posée avait été plus précise : « Pour nous qu’est-ce que la miséricorde de Dieu ? » On aurait sans doute entendu les mots suivants : pardon des péchés, pitié, bienveillance, compassion, tendresse, bonté, indulgence… Qu’est-ce donc que cette miséricorde de Dieu dont l’Église aime à parler ?

Pour répondre il ne s’agit pas de projeter sur Dieu nos désirs et nos attentes concernant ce que nous attendons de lui en raison de nos faiblesses. Dieu nous a lui-même progressivement révélé sa miséricorde, non par des discours mais à travers les évènements de l’histoire du salut. La manière dont il s’est comporté dans sa relation d’alliance avec son peuple infidèle, depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ en qui s’accomplit cette révélation, permet de découvrir peu à peu l’abime de la miséricorde de Dieu. L’évangile que nous venons d’entendre s’inscrit dans cette grande histoire. « Les publicains et les pécheurs venaient à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens récriminaient : «  Cet homme fait bon accueil aux pécheurs ». Jésus raconte alors une petite histoire qui met en scène et permet de découvrir celui que saint Paul appelle « le Père des miséricordes » (2 Co 1, 3) ; il a la joie de parler de la miséricorde de son Père qui a pris visage en lui-même, Jésus.

Ainsi Jésus raconte. Un Père, deux fils. Après avoir reçu sa part d’héritage, le plus jeune fils est parti, il a pris ses distances comme on prend parfois ses distances par rapport à Dieu, parti sans se soucier de son Père, ni de son frère, parti préoccupé de lui seul, centré sur lui-même et ses envies, dans le désordre. Ayant tout dissipé, il expérimente le vide matériel et plus encore le vide intérieur qui nait de ce désordre ; il choisit de revenir à la maison pour demander d’être réintégré comme ouvrier. Le Père l’apercevant de loin fut ému de compassion, dit l’évangile, et il courut se jeter à son coup. Compassion. Le mot grec ici employé renvoie à un mot hébreu qui exprime l’attachement instinctif d’un être à un autre, il a son siège en premier dans le sein maternel, mais aussi, dans les entrailles d’un père ou d’un frère. Et c’est un instinct qui se traduit immédiatement en actes. Le Père n’attend pas que son fils revienne jusqu’à lui, il court au devant et le couvrit de baiser. Le Père des cieux ressent profondément, d’une manière divine, le mal que nous nous faisons en nous éloignant de lui et il vient au devant de nous pour rétablir la communication que nous avons, plus ou moins, rompue avec lui.

Il y a plus dans la miséricorde divine. Elle n’est pas seulement la manifestation d’un instinct de bonté. C’est une bonté consciente, voulue, fidèle à la relation qui unit deux êtres. Le fils estime qu’il n’est plus digne d’être appelé fils et ne demande qu’à être réintroduit à la ferme pour avoir de quoi manger, il a été infidèle. Mais le Père, lui, est toujours fidèle. « Même si mon fils ne s’est pas comporté en fils et m’a oublié, mis de coté, moi je ne n’ai pas oublié qu’il est toujours mon fils. » Dieu reste fidèle à lui-même, à sa vérité de Père, quelles que soient nos errances. Et cette fidélité se traduit en actes : vite apportez les signes qui manifestent qu’à mes yeux il est toujours mon fils : les sandales, l’anneau, la robe. La miséricorde du Père n’est pas encore épuisée, car elle n’est jamais épuisée. Dieu se plait à donner surabondamment à celui qui revient à lui, comme un pauvre, en osant croire à son pardon. Le Père invite alors largement autour de lui à festoyer et à se réjouir. Le retour d’un de ses enfants a tellement de prix à son cœur. Si grande que soit la joie du fils d’être totalement pardonné, plus grande encore est la joie du Père de voir son fils revenir à la vraie vie.

Il est un dernier trait de la miséricorde de Dieu qui n’est exprimé par aucun mot dans cette parabole. Un trait invisible, impondérable, qui pourtant imprègne tout et ouvre sur le mystère de cette miséricorde. Il commence à se laisser entendre dans le fait que le Père a donné à son fils beaucoup plus que celui-ci ne demandait en lui offrant la réintégration comme fils, sans rien demander. La miséricorde de Dieu est donnée, gratuitement. On ne saurait la mériter ni l’acheter. On n’achète pas le véritable amour. C’est ce que ne comprend pas le frère ainé qui, de retour à la maison, se scandalise que son Père fasse la fête pour ce fils qui a eu un tel comportement. « Il refuse d’entrer : Moi dit-il, j’ai toujours été à ton service, sans transgresser tes ordres et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer. » Moi, j’avais droit à recevoir et ton fils, dit-il avec mépris, ne le méritait en rien. Vis-à-vis de ce fils jaloux et révolté, le Père manifeste aussi sa miséricorde et sa fidélité de Père : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi. » Et tout cela t’est donné.

C’est ici que s’entrevoit le mystère de la miséricorde de Dieu. Elle est totalement gratuite. Il nous est très difficile de comprendre cela de l’intérieur. Car nous autres humains nous sommes incapables de totale gratuité. Si profonde que soit la bonté d’une mère ou d’un père pour son enfant, en se donnant, le parent se reçoit, se retrouve dans son acte, et c’est bien. Et il ne peut en être autrement. Mais il en va autrement pour Dieu. Il nous fait miséricorde, sans retour sur lui-même, dans une totale ouverture à chacun de nous. Les mots sont difficiles pour exprimer l’infini de ce mystère d’amour, au-delà de ce que nous pouvons concevoir ou imaginer.

Mes amis, la parabole s’achève ici, Jésus s’est contenté de braquer joyeusement le projecteur sur le visage de son Père. En d’autres circonstances il a complété l’aventure de l’accueil de la miséricorde. Elle doit se prolonger dans notre propre comportement envers les autres par ce que le Pape François appelle les œuvres de miséricorde dont il donne des exemples. Œuvres corporelles : donner à manger à ceux qui ont faim, accueillir les étrangers, visiter les prisonniers…, et œuvres spirituelles : consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et les morts. Il poursuit. « Du cœur de la Trinité, du plus profond du mystère de Dieu jaillit et coule sans cesse le grand fleuve de la miséricorde. » A nous de venir y boire et d’appeler à y venir en témoignant nous même de la puissance de cette miséricorde.

fr. Dominique Sterckx, ocd (Couvent de Paris)
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