Homélie Toussaint 2014 : une fête magnifique … et redoutable !

donnée au couvent de Paris

Solennité de Tous les Saints

Textes  : Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

Solennité de tous les saints : fête magnifique ! Mais aussi fête redoutable. Fête magnifique, au sens propre : en effet, que célébrons-nous aujourd’hui ? Ce n’est pas une foule d’idoles que nous admirons ou de héros hors du commun ; ce sont les grandes œuvres que le Seigneur fit pour cette assemblée sainte. Dieu a magnifié sa sainteté dans la vie de ces innombrables visages, inconnus de nous mais connus de Dieu. En évoquant ces visages, nous sommes dans la joie et dans l’allégresse. Nous chantons Magnificat, le Seigneur fit pour eux des merveilles, comme Il l’a fait chez la toute Sainte, la Vierge Marie. Oui, fête magnifique que celle de tous les saints.

Mais pourtant, elle est aussi redoutable cette fête. Redoutable en ce sens que nous pouvons passer complètement à côté : après avoir admiré tant de saints, nous rentrons chez nous, reprenant une activité normale. Car au fond, la sainteté, c’est pour eux, pour les autres, pas pour moi ; pour les saints, c’était facile, tout était tracé d’avance, tandis que pour moi… Redoutable tentation que celle-ci ! Redoutable car subtile… Celui qui s’est déjà mis en chemin vers la sainteté ; celui qui a cru effectivement qu’en tant que baptisé, il est appelé à cette sainteté de Dieu, comme l’a martelé le concile Vatican II ; celui-là s’est rendu compte un moment ou un autre que ce n’est pas si aisé que de devenir saint. Qu’advient un temps où nous sommes tentés de jeter l’éponge, de croire que nous nous sommes faits avoir et que, décidément, non, la sainteté, c’est pour les autres.

all saints

Or bonne nouvelle : les saints eux-mêmes ont expérimenté la même chose… Je cite quelqu’un que vous connaissez bien. « J’ai toujours désiré d’être une sainte, mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé aux pieds des passants… » La sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, carmélite à Lisieux a été confronté à cette expérience de l’écart entre le désir de la sainteté et l’évidence de ses échecs, écart amplifié par la comparaison avec les saints… Redoutable écart que nous pouvons nous-mêmes expérimenter en ce jour devant cette foule de saints. Non, je ne suis pas à la hauteur, ce n’est pas pour moi…

Écart redoutable, oui ; décourageant peut-être. Ou peut-être pas … Écoutons Thérèse qui poursuit sa phrase… : « … au lieu de me décourager, je me suis dit : le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté. » (Ms C 2r°) Génie de Thérèse qui prend Dieu au mot. Dieu ne peut pas nous faire désirer quelque chose d’inaccessible. Le Christ ne peut pas nous mentir et nous tromper : il y a forcément un chemin possible, ou alors Dieu n’est pas Dieu. Et mieux vaut rentrer chez soi ! Thérèse pose ici un acte de foi ; il ne s’agit pas de comprendre comment ce chemin est possible (cela, elle le découvrira après dans sa petite voie) mais de croire que c’est possible. C’est l’option de la confiance, quand même, cet acte de foi qui traverse l’écart entre le désir et la médiocrité de sa réalisation, entre ce que nous attendons et ce que nous sommes.

Nous retrouvons un écart parallèle dans notre 2e lecture : « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.  » Écart entre notre identité actuelle révélée et celle à venir. Dans l’attente de la réalisation de notre sainteté qui est d’être rendu conforme au Christ, le Saint de Dieu, Jean nous appelle à fonder sur Jésus notre espérance. Espérer, qu’est-ce que c’est ? C’est attendre avec fermeté ce que nous ne possédons pas ; c’est croire qu’un chemin est possible, celui que Dieu ouvrira. Et que fait l’espérance ? Elle purifie, elle rend pur comme Jésus est pur. Or l’évangile nous dit que « les cœurs purs verront Dieu ». Le psaume nous dit que « l’homme au cœur pur et aux mains innocentes gravira la montagne du Seigneur et pourra se tenir dans le lieu saint  », devant le Saint des Saints, l’Agneau de Dieu. La 1re lecture va aussi dans le même sens : les gens vêtus de blanc, cette foule innombrable, ce sont ceux qui ont "purifié leurs vêtements dans le sang de l’Agneau." Seul le sang du Christ, seule la vie livrée de Jésus nous obtient le salut et le don de la sainteté. C’est en espérant ce salut offert par le Christ que nous entrons dans un processus de purification, de sanctification.

En d’autres termes, ce qui nous est demandé c’est de croire et d’espérer notre propre sainteté : pas celle que nous imaginons, mais celle que Dieu veut nous donner. Celle qui se diffusera peu à peu dans notre fidélité quotidienne, celle qui grandira à travers les épreuves purifiant nos désirs, celle qui nous rendra semblables à Celui que nous attendons. Nous le comprenons donc maintenant : nos fausses excuses pour ne pas nous sentir concernés par cette fête ne tiennent plus. Nous sommes tous appelés à la sainteté ; il s’agit simplement d’y croire. En fait l’acte de croire et d’espérer est la manière dont nous laissons l’Esprit Saint agir en nous et nous sanctifier. Le Père Jacques de Jésus le souligne : « La seule différence entre les âmes vient de ce que c’est l’âme qui arrête elle-même le développement spirituel en elle. (…) Mais tant que l’âme ne dit pas non à Dieu, tant qu’elle avance à travers les difficultés, malgré la sécheresse, malgré les obstacles, Dieu toujours lui donne ce qui est nécessaire pour qu’elle avance plus loin.  » (Retraite aux Missionnaires de ND du Mont-Carmel en juin 1941)

Puisque nous ne pouvons plus redouter cette magnifique fête, tournons-nous intérieurement vers nos frères et sœurs du ciel ; faisons jouer à notre profit la communion des saints pour qu’ils nous entraînent dans leur course vers la vie qui ne finit pas. Non en ce jour, décidément, rien à redouter, tout à magnifier. Que le Dieu trois fois saint en soit béni aujourd’hui et à jamais. Amen.

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau ocd
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