Homélie aux obsèques du Frère Joseph-Marie GIRARDOT

Lecture de la messe d’Elisabeth de la Trinité : Eph 1, 3-14. / Ps 62 / Jn 14, 23-26.

Frères et Sœurs,

Les textes que nous venons d’entendre sont ceux de la fête de la Bienheureuse Élisabeth de la Trinité, qui pendant plus de 60 ans, a accompagné notre frère Joseph-Marie dans la profondeur du mystère du Dieu Trinité qui a fait sa demeure en nous, au jour du Baptême.

Père Joseph-Marie Girardot (1924-1951-2008)
Prédication lors du pèlerinage à Dijon-Flavignerot, centenaire de la mort d’Elisabetn de la Trinité

Lors du pèlerinage provincial de novembre 2006 à Flavignerot, dans une homélie, il nous livra ce qui l’attirait tant chez Élisabeth : « Élisabeth peut se présenter à nous comme un modèle, oh certes avec beaucoup de discrétion ! Car ce qui la caractérise, c’est surtout cette transparence, cette soif d’oubli total d’elle-même, cette référence en tout au Dieu tout Amour. Son originalité n’est pas d’arrêter notre regard sur elle, mais bien de l’orienter et d’une manière radicale presque exclusive sur la Trinité Sainte dont nous sommes devenus la demeure. » Je suis frappé en écoutant les divers témoignages qui nous sont envoyés pour évoquer le Père Joseph-Marie d’y retrouver les mots qu’il employait à propos d’Élisabeth : discrétion, transparence, référence au Dieu tout amour.

Quelques semaines avant sa Pâques, il me disait encore : « il faudra tout orienter vers le Dieu d’Amour »

Oui, Élisabeth aura été une compagne, un guide sur le chemin de vie spirituelle, de la découverte profonde du mystère. Une amie fidèle jusqu’au bout. Il y a quelques mois, alors que la maladie faisait son œuvre, Joseph-Marie rassemblait les forces qui lui restaient : « oh tu sais à peine une petite heure par jour » disait-il. Mais cette heure il l’employait à retravailler les pages qu’il avait écrites sur les derniers mois d’Élisabeth sur sa montée du Calvaire. Il disait alors : « je comprends un petit mieux aujourd’hui ce qu’elle a vécu. Ce que j’ai écrit alors, n’était pas tout à fait juste… »

Ainsi jusqu’au bout, il a cheminé avec son amie du Ciel pour mieux accueillir le Don de Dieu, sa volonté, « qui n’est qu’amour ». Comme il l’écrivait au début de l’homélie du 10 novembre 2006 : « c’est “à travers tout” que Dieu ne cesse de nous offrir sa grâce. »

Ce qu’il a proclamé, il a cherché à le vivre humblement, pauvrement, mais avec la détermination déterminée des fils de sainte Thérèse d’Avila. Manifestant par la manière dont il a vécu ces derniers mois, la profondeur spirituelle dans laquelle il avait appris à vivre tout au long de sa vie. Il signe ainsi de tout son être ce qu’il avait enseigné et nous en percevons l’authenticité.

« Béni soit Dieu… »

Le début de la lettre aux Éphésiens que nous avons entendu comme première lecture résonnait fortement dans le cœur de Joseph-Marie. Il avait écrit : « La seule gloire que revendique saint Paul, c’est que le Père l’a élu en son Fils avant même la création du monde (Ep 1, 4), c’est cette œuvre créatrice que l’Esprit Saint poursuit en Paul que se sait “le temple de Dieu” (Rm 8, 10-11), “citoyen des cieux”. Aussi malgré les épreuves qu’il doit assumer et notamment celles de “son pauvre corps”, il ne doute pas qu’un jour il lui sera donné de participer, corps et âme au “Christ glorifié, vainqueur et capable de tout dominer…” »

En parlant de l’apôtre Paul, Joseph-Marie nous parlait aussi de lui-même, il nous parlait de nous-mêmes, il nous indiquait cette foi qui croit fermement aux promesses renfermées dans l’Écriture. Lors de notre dernière rencontre, le 28 janvier, nous parlions de la Lectio Divina, il me confiait alors avec abandon qu’il ne pouvait plus lire, cela le fatiguait trop… « Tu vois, me disait-il, je ne peux même plus faire ma lectio. »

Mais en même temps, il me semblait qu’il la faisait bien, mais à la manière d’Élisabeth de la Trinité, lorsqu’elle écrit à sa sœur : « Je te conseille de simplifier tous tes livres, de te remplir un peu moins, tu verras que cela est bien meilleur. Prends ton Crucifix, regarde, écoute. » (Lettre 93, à sa sœur Guite, du 12 septembre 1901)

Sa pensée et tout son être demeuraient ainsi tournés vers cette volonté du Père, qui n’est qu’amour et qu’il cherchait à accueillir instant par instant dans le moment présent.

Saint Paul proclame : « Dans le Fils vous avez écouté la parole de Vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut ; en lui vous êtes devenus des croyants, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. »

Joseph-Marie s’est mis à l’écoute de la Parole, il l’a laissé résonner et faire son œuvre en lui. Les frères – spécialement les jeunes en formation – qui ont vécu en communauté avec lui se souviennent des partages d’Évangile, où il ne cherchait pas à remettre le texte dans son contexte ou à trouver des considérations plus ou moins périphériques et extérieures, mais où il s’engageait véritablement et partageait l’œuvre créatrice et libératrice de la Parole en lui. Son partage était une invitation à plonger dans les eaux vives de la Parole pour en vivre vraiment, au niveau existentiel et non pas théorique. Une communauté de carmélites nous a écrit qu’il a « su dispenser la manne de la Parole de Dieu ».

Écouter la Parole, « la méditer jour et nuit », dit la Règle du Carmel, la garder. Il a su écouter son amie Élisabeth quand elle proclame dans la Dernière Retraite : « C’est donc elle directement, qui achèvera le travail du dépouillement dans l’âme ; car elle a ceci de propre et de particulier, c’est qu’elle opère et qu’elle crée ce qu’elle fait entendre, pourvu toutefois que l’âme consente à se laisser faire. » (D.R. n° 27) Elle ajoute au numéro suivant : « Mais ce n’est pas tout de l’entendre, cette parole, il faut la garder ! » (D.R. n° 28)

Nous retrouvons l’invitation du Christ Jésus dans l’Évangile de ce jour : « Si quelqu’un m’aime, il reste fidèle à ma Parole, mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui, nous irons demeurer près de lui. »

Les 5 membres de notre communauté de Lisieux
De gauche à droite : Antoine-Marie, Philippe, Joseph-Marie, Romain et Joseph

Notre frère Joseph-Marie vivait profondément de ce mystère, et par son infatigable et incessant ministère de prédicateur, de confesseur, il n’a cessé de nous encourager à lire et à garder la Parole, à accueillir le dessein bienveillant de son amour, à accueillir la livraison que Dieu fait de lui-même, à nous livrer à l’action créatrice du Dieu tout amour qui a fait sa demeure au plus intime de notre être.

Peu à peu les forces déclinantes, il n’eut plus d’autre ministère que celui d’aimer et de se laisser aimer. Il s’est laissé dépouiller et il me semble que nous pouvons lui appliquer les paroles qui concluaient son homélie du 10 novembre 2006 sur Élisabeth de la Trinité. Je transforme en mettant au masculin ce qui était au féminin : « Il a toujours été très humain, il a tout assumé de son humanité, de son corps, de son cœur, de son âme. C’est bien à travers le déploiement de sa nature humaine, en plein monde comme au Carmel, que la grâce de Dieu a pénétré en lui pour que tout soit sacrement de la Présence et de l’amour divin. »

Il poursuivait en disant : « Élisabeth gravit la route du calvaire avec l’ardent désir d’être pour le Christ, “une humanité de surcroît en laquelle il renouvelle tout son mystère.”

Fils de Notre Dame du Mont Carmel, c’est dans les bras de cette dernière qu’il a vécu les dernières semaines de son pèlerinage terrestre. La petite icône de “Marie conductrice” ne quittait plus sa main, son cœur, il lui demandait comme un enfant à sa Mère de lui apprendre à dire oui, à consentir, et de le conduire dans cette volonté du Père qui n’est qu’amour.

C’est bien “à travers tout” que Dieu ne cesse de nous offrir sa grâce. Pour beaucoup d’entre nous, cette grâce est passée par cet instrument qu’était son bon et fidèle serviteur Joseph-Marie de la Trinité. Rendons grâce pour ce que nous avons reçu à travers son ministère, à travers ses paroles, à travers son témoignage de vie.

Soyons fidèles à garder la Parole, pour que la Trinité Sainte puisse réaliser en nous son œuvre créatrice et livrons-nous à son amour en accueillant à travers tout sa volonté sur nous ; cette volonté qui n’est qu’amour.

Amen.

Fr. Didier-Marie GOLAY, provincial

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