Homélie du 1e Dimanche de Carême (9 mars 2014)

Frères et sœurs,

Nous voilà donc mis en quarantaine par la liturgie, pour guérir ! Tel est le Carême, 40 jours (40 jours et 6 dimanches car nous, latins, aimons bien compter, non que les dimanches de Carême ne soient pas Carême – au contraire ils en sont les phares lumineux qui structurent notre marche et celui d’aujourd’hui pourra nous inspirer tout au long de celle-ci - mais ils ne « comptent » pas dans les jours de jeûne puisque le dimanche n’est pas jour de jeûne : on ne jeune pas en présence de l’Epoux !) pour contempler Jésus notre Sauveur, le nouvel Adam comme le développe St Paul nous montrant ainsi que la scène évangélique du désert fait contrepoint à la scène primordiale du Jardin. 40 jours pour passer du désert au Jardin, pour accueillir Jésus, le suivre dans son combat et nous laisser transformer par lui : « progresser dans la connaissance de Jésus-Christ » et « nous ouvrir à la lumière » dit la prière d’ouverture. Explorons ces deux axes…

Situé après les scènes de l’enfance, le récit des tentations de Jésus est au fond un autre récit de manifestation de son mystère. Telle est notre foi que le Carême va faire grandir : il le Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, venu dans notre monde pour nous sauver. C’est sur cela que joue le démon : « si tu es le Fils » met-il en doute par deux fois. Et l’épreuve de Jésus est à comprendre ainsi : la preuve de sa parfaite humanité et de sa divinité ! Ainsi voudrais-je relire les trois tentations. Premièrement, lui qui nous invite à nous nourrir de toute parole de Dieu, il est lui-même la Parole de Dieu faite chair qui fait la lumière en débusquant les stratégies du diable qu’il nomme ou contrecarre. En même temps, fils parfait du Père, sa seule nourriture est de faire la volonté du Père. Là est l’enjeu suprême de toute tentation. Vrai Dieu et vrai homme, on le voit à l’aisance avec laquelle il se réfère à l’Ecriture qui lui sert de bouclier : « il est écrit » répond-il à chaque tentation montrant, pour nous aussi, l’arme de nos combats. Ensuite, lui, qui nous défend de tenter Dieu, il assume pleinement notre humanité. A la lumière du récit de la Genèse, c’est ainsi que nous pouvons comprendre le sens de la deuxième tentation. « Tu ne tenteras pas Dieu » ; « tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », autrement dit tu ne brouilleras pas les limites de ton humanité. Sauter du Temple, ce serait cela. Jésus, vrai homme, vit pleinement au contraire son humanité, avec ses limites et ses faiblesses. Il eut faim, il fut triste, il s’est réjoui et il a pleuré. Toute sa vie, Jésus résistera à faire le magicien. Il fuit quand on veut le faire Roi, il reste silencieux quand on l’adjoint de se sauver de la Croix pour prouver sa divinité. En même temps, dans cette deuxième tentation, c’est Dieu lui-même qui est tenté : mystère de la Passion déjà préfigurée. En Jésus la victoire sur la tentation est celle de la Vie et par là sur toutes nos tentations. Mystère de Jésus Sauveur ! Lui - troisième tentation - qui nous enjoint d’adorer Dieu seul, manifeste sa pleine humanité dans la manière précisément avec laquelle il vécut cela : « levant les yeux vers son Père » ; « Dieu seul est bon ! » C’est le mystère de son obéissance que médite saint Paul dans la deuxième lecture. En même temps, le parcours de la foi conduit à confesser avec Thomas « mon Seigneur et mon Dieu ». La scène finale de notre évangile est d’ailleurs une scène d’adoration, comparable à celles de la crèche : le tentateur qui s’était approché au début de l’évangile le quitte et ce sont les anges, c’est-à-dire les autres anges - le démon n’est qu’un ange, une créature et non un dieu - là aussi ne l’oublions pas quand la force de l’adversité pourrait nous faire croire le contraire - qui s’approchent et servent Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Crèche au désert qui annonce déjà la victoire pascale du Christ. Nous le voyons, ces trois épreuves sont comme trois preuves de Jésus vrai Dieu et vrai homme. Le Carême, c’est cela « progresser dans la connaissance de Jésus-Christ ».

Pareillement et indissociablement, pour continuer à citer l’oraison de ce jour, il nous donne de nous « ouvrir [davantage] à sa lumière par une vie de plus en plus fidèle ». Nos tentations peuvent être un chemin de croissance spirituelle, si nous savons les vivre, les relire et les offrir. Reprenons de nouveau notre récit dans cette perspective. Premièrement, qu’est-ce qui nous fait vivre ? Quelle est notre nourriture, notre source ? Voilà un enjeu essentiel de notre Carême ! Pour cela je ne peux que nous inviter à nous abreuver à la fontaine des Ecritures. En une période de surabondance de la littérature spirituelle – revues de toutes sortes, publications sur Internet, propositions pastorales d’une ingéniosité prolifique - le risque est de nous contenter d’écrits de seconde main, tout en étant de première valeur. Bien sûr cela peut nous aider et nous promouvons une retraite en ligne, des lundis de Carême, mais l’écrin ne doit pas faire écran. Lire sur l’Ecriture ne fait pas l’économie de lire l’Ecriture. Mieux vaut la pauvre prière qui est celle de mon cœur que la brillante méditation qui n’est pas mienne et me reste malgré tout extérieure. Il y a là peut-être une tentation, au moins un enjeu important. Le Carême peut être pour nous un changement de posologie : une lectio divina quotidienne vaut bien cinq picorages para-scripturaires (comme on dirait para-médicaux). Ensuite, aimer notre condition humaine avec son sens des limites est plus que jamais un combat. Je ne veux pas ressortir la tarte à la crème d’Internet et des nouveaux rythmes de notre société mais l’exigence du silence, un rapport au temps qui intègre la distance et la patience, le travail de l’unification intérieure qui se joue dans la prière ou la lecture sont des incontournables du Carême. Ne jouons pas les Prométhée ou, plus bibliquement, les Adam et Eve : « vous deviendrez des dieux » ! Le sens de l’ascèse chrétienne, en particulier le jeûne sous toutes ses formes, est là : consentir à notre humanité pour suivre le Christ. Enfin, qui servons-nous, qui adorons-nous ? Vers qui dirige-t-on notre vie ? Le Carême est comme une course d’orientation qui nous réapprend le vrai Nord ! Contempler le Christ et transformer - libérer - notre vie, tels sont des enjeux pour notre Carême que dit avec force l’évangile des tentations. Ne dissocions pas ces deux perspectives : elles se rejoignent… dans l’amour, offert sans condition par le Christ et que notre vie spirituelle nous apprend. C’est le seul fruit véritable de notre Carême, le seul moteur. C’est lui qui nous a mis en route et nous donne déjà de rendre grâce ! Bon Carême à tous !

F. Guillaume, ocd

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