Homélie du Jour de Pâques (20 avril 2014)

Le creux de la crèche, le tohu-bohu de la création, le vide du tombeau, Dieu dans ses grandes œuvres - Dieu dans ses œuvres - agit dans le secret, dans le vide, dans le silence. Nous chantions à la vigile pascale la nuit lumineuse ; l’évangile de ce jour évoque un matin encore obscur. Il présente la foi chrétienne en sa source, à l’état germinal, inchoatif, encore inachevé, encore en promesse. Il nous donne au fond de méditer comme en murmurant et d’accueillir comme en sautillant d’émerveillement l’inouï de notre foi. Entrer dans le tombeau et se souvenir des Ecritures ; voir et croire ; courir ; arriver le premier mais laisser sa place : il y a dans ces quatre attitudes de l’évangile comme la grammaire élémentaire de la foi en la Résurrection qui méritera d’être développée tout au long du temps pascal pour constituer la foi dans sa totalité, c’est-à-dire avec la manière dont elle est vécue, célébrée et professée. Notre évangile est un évangile de fondements. C’est donc avec l’élan que donne une promesse, avec la joie que suscite une naissance, avec la légèreté qu’offre une libération, que nous pouvons reprendre les quatre attitudes nommées à l’instant.

Pierre et Jean font l’expérience d’un vide, d’un creux, de traces renvoyant à une absence : la pierre enlevée, le tombeau vide, le linge et le linceul. C’est par l’Ecriture (ce que nous appelons l’Ancien Testament) que Jean va accéder à la foi. Or l’Ecriture elle-même est une trace, trace des passages de Dieu et de son œuvre dans l’histoire d’Israël, la prédication des prophètes, la méditation des sages et la rédaction des écrivains sacrés, trace non immédiate de la Parole de Dieu. Jean accède à la foi en Jésus ressuscité d’une manière remarquable et étonnante, comme si à la manière de silex qui se frottent l’un l’autre, dans la conjonction de ces traces, prenaient feu le sens, la compréhension de la logique de Dieu (« il fallait ») et la perception d’une présence de Jésus ressuscité avant même les rencontres pascales qui vont suivre. Nous parlions de foi germinale : il s’agit de la foi comme intuition de la foi qui bouleverse toute une vie, qui possède tout en puissance, en semence, mais qui devra être complétée, assurée, vérifiée par l’expérience des apparitions du Ressuscité, ce qui donnera lieu à l’écriture du Nouveau Testament. Pour nous aujourd’hui, la foi se vit dans une même conjonction de l’expérience de nos vides et de nos pauvretés, dans la mémoire - le tombeau, selon l’étymologie du mot employé par l’évangéliste, désigne le lieu du souvenir - de l’œuvre de Dieu dans notre propre existence et dans la méditation des Ecritures, Ancien et Nouveau Testaments. Par la grâce de Dieu, la foi, tel un feu qui prend, nous fait entrer dans la perception renouvelée du mystère de Dieu. Fêter la résurrection ce n’est donc pas tourner la page des Jours saints comme si nous passions à autre chose mais c’est percevoir le sens profond de la Passion illuminée par la foi pascale, lumière qui vient déjouer toutes nos obscurités et donner sens à nos nuits. Christ est ressuscité !

Deuxièmement, « voir et croire » constituent l’attitude croyante du disciple bien-aimé. Vous savez peut-être que le chapitre 20 de l’évangile de Jean commence par notre évangile et se clôt par l’éloge de ceux qui croient sans avoir vu. Entre ces deux passages d’évangile, nous avons le grand passage de l’évangile, du ‘voir et croire’ au ‘croire sans voir’, c’est-à-dire le passage des témoins directs de la Résurrection dont nous parlent la première lecture (Jésus apparait à ceux qu’il a choisis, ceux qui l’ont vu durant sa vie terrestre) à ceux qui, à l’instar de Thomas et plus encore de tous ceux qui l’ont suivi sur ce chemin - et nous en sommes - ont reçu la foi par le témoignage de la Tradition, c’est-à-dire par le témoignage des témoins, de génération en génération. Là encore nous touchons à un point fondamental de notre foi : voir et croire c’est-à-dire faire l’expérience, croire et transmettre. La foi en la résurrection est comme un feu qui prend dans la conjonction de ces divers éléments. Voir et croire y constituent des éléments structurants grâce à la Tradition qui, dans ses précisions dogmatiques ou son déploiement sacramentel, nous donne de professer et de célébrer Christ ressuscité !

Troisièmement, tous nos personnages courent aujourd’hui : Madeleine, Pierre et Jean. La foi apparait comme une course. Le passage de la Mer Rouge, le cantique des cantiques nous en disaient déjà quelque chose : la foi comme une attirance irrésistible, la foi comme une orientation inconnue mais certaine, la foi comme l’ardeur de se donner. La foi est cette force qui met en mouvement, la force d’aimer… car Christ est ressuscité !

Enfin, il est beaucoup question de place dans cet évangile : le rôle premier de Madeleine (apôtre des apôtres), le jeu subtil entre Pierre et le disciple bien-aimé qui évoque sans doute une réflexion ecclésiologique sur le rôle des uns et des autres dans l’Eglise primitive. Primauté ou préséance de Pierre avec sa faculté d’observer et rapidité de Jean pour courir et comprendre : on peut y voir l’articulation entre la tradition et la transmission objective de la foi et l’ardeur des missionnaires et des contemplatifs qui la vivent et la font vivre. La foi en la Résurrection est une foi en le mystère de l’Eglise, autre élément à l’état de germe dans notre évangile mais qui sera développé par après. Croire en la Résurrection c’est se trouver dépositaire d’une mission et découvrir, pour y consentir, la place qui est nôtre. Là aussi est notre joie. Christ est ressuscité : il nous invite à l’annoncer !

Nous l’avons parcouru trop rapidement, l’inouï d’un sens qui vient éclairer le creux de nos tombeaux, l’articulation du voir et du croire c’est-à-dire de la perception et de la grâce, l’ardeur de la foi et de l’amour qui met en mouvement avec force et liberté, la joie d’être à sa place et pour cela le rôle de l’Ecriture dans sa complétude, de la Tradition et de l’Eglise, voilà la grammaire de notre foi, encore à l’état d’étincelle, que nous croyons pouvoir discerner dans cet évangile. C’est la grâce de ce jour unique d’en célébrer le mystère, la promesse, la force inouïe pour adorer le mystère de Dieu Père, Dieu de la vie et de l’espérance. Oui, Christ est ressuscité ! En lui tout est là et tout commence. Là est notre joie, là est notre foi, là est notre ardeur. Christ est ressuscité, alléluia : il est vraiment ressuscité, alléluia !

Fr. Guillaume, ocd

Revenir en haut