Homélie pour Noël

Messe de la nuit

Textes liturgiques : Is 9,1-6 ; Ps 95 ; Tt 2,11-14 ; Lc 2, 1-14

« Oui ! un enfant nous est né, un fils nous a été donné » s’exclamait le peuple de Galilée à travers l’oracle d’Isaïe. C’est bien l’accomplissement de cette prophétie que nous célébrons en cette nuit de Noël : une grande lumière a lui dans les ténèbres de la nuit et du désespoir d’Israël. Et cette lumière, c’est l’évènement d’une naissance. La fête de Noël est évidemment une fête religieuse mais elle se greffe aussi sur la réalité fondamentale qu’est une naissance humaine. La naissance du Seigneur Jésus transfigure en les assumant 3 effets produits par toute naissance humaine : la nouveauté, la rencontre, la tendresse. Regardons de plus près chacun de ces 3 effets.

La nouveauté évidemment. Cela n’a l’air de rien mais ce lien entre naissance et nouveauté est très profond, au point qu’une grande philosophe du XX° siècle Hannah Arendt affirmait, en faisant d’ailleurs référence à Noël : « Le miracle qui sauve le monde, c’est finalement le fait de la natalité, (…) la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau. » [1] Comment comprendre cela ? Dans un horizon de vie et de sens qui est bouché, le désespoir ou le cynisme guettent en permanence. Dans notre 1re lecture «  le peuple qui marchait dans les ténèbres » désigne les habitants du pays de Galilée opprimés par l’envahisseur et réduits à l’état d’esclaves : pas d’espoir en vue. Plus largement, toute période durable de crise ou d’épreuve risque de nous faire désespérer et de croire à l’absurde, au non-sens ; ou en d’autres termes à la stérilité de notre vie, une vie sans postérité. Dans un tel contexte, l’annonce d’une naissance ouvre un avenir possible, une espérance envisageable. Oui, toute naissance crée une nouveauté : on parle d’ailleurs bien de nouveau-né ! Quelle plus grande nouvelle annoncer dans une famille qu’une naissance à venir ! La naissance crée l’attente et c’est d’ailleurs le sens du temps de l’Avent. Nous voici maintenant devant la crèche contemplant ce nouveau-né à la fois si commun et pourtant si attendu. En lui, il y a tant de promesses et tant de noms : « Merveilleux-Conseiller, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix », Emmanuel, … Mais la nouveauté apportée par ce bébé dépasse largement nos attentes et crée un horizon définitivement nouveau. La nouveauté inaugurée par la naissance de Jésus est définitive et ne passera pas : avec lui, la lumière et la joie sont nées dans le monde ; nulle ténèbre, nulle tristesse ne sauraient les étouffer. Désormais, Dieu est avec nous, c’est irréversible et cette nouveauté se vérifie à chaque instant de notre vie. Pour une nouvelle, c’est donc vraiment une bonne nouvelle !

Le Nouveau Né Georges de la Tour

Après l’effet de nouveauté, toute naissance crée aussi des rencontres inattendues. Dans le train samedi, je me trouvais au milieu de passagers silencieux, le visage baissé. Il a suffi qu’un enfant commence à s’agiter dans sa poussette et à taper dans une valise pour que des sourires apparaissent, que les répliques fusent, que les conversations s’engagent. Les petits enfants ont cette capacité d’attirer l’attention à eux et de créer du « lien social » comme on dit, à travers les personnes qu’ils réunissent. C’est souvent le cas dans des fêtes de familles où la présence des bébés donne matière à conversation à des membres qui ne savaient pas trop quoi se dire. « Il est mignon, hein ! » A Bethléem, il en est de même : voici que Marie et Joseph se retrouvent accompagnés de bergers. C’est très bucolique pour nous avec nos belles crèches provençales. Cela devait l’être un peu moins en réalité puisque les bergers étaient souvent considérés en Israël, non sans raison, comme des brigands ou des voleurs. Sans vouloir polémiquer, comment réagirions-nous si le Seigneur nous envoyait des Rom pour cette messe dans notre chapelle ? Nous serions certainement méfiants, en tout cas gênés… Si toute naissance humaine crée des rencontres, celle de Jésus convoque les plus éloignés : car bientôt arriveront aussi les Mages d’Orient. Oui, cet enfant si particulier attire déjà à lui la terre entière. Sa lumière traverse les frontières religieuses et sociales : elle atteint les périphéries existentielles. « Voilà ce que fait l’amour invincible du Seigneur de l’univers » quand nous le laissons nous transformer. Il nous donne de rencontrer ceux ou celles que peut-être nous n’aurions jamais connu ! Puisque l’Enfant Jésus a le bon goût de nous réunir aussi ce soir, à partir d’horizons différents, nous ne manquerons pas d’en profiter après pour faire connaissance.

Enfin, dernière marque de toute naissance : l’effet tendresse. Quel cœur peut-il rester longtemps endurci devant un nouveau-né ? C’est le plus souvent l’enfant qui gagne et est le plus fort quand il fait craquer le cœur trop sérieux des adultes que nous sommes. Oui un bébé nous attendrit. Et le Pape François de rajouter : «  Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même pas non plus de la tendresse ! » [2] Apprenons donc à nous laisser attendrir par tout nouveau-né. Mais celui que nous contemplons ce soir risque de provoquer sur nous un effet tendresse encore plus radical. Comme le dit toujours le Pape à propos de Bethléem : « c’est là qu’est apparue la tendresse de Dieu, la grâce de Dieu.  » [3] En Jésus, à travers son humanité, Dieu attendrit notre cœur : c’est la plus grande ruse amoureuse qu’Il a inventée pour nous séduire, pour briser toutes les fausses images que nous nous faisons trop souvent de Lui. « Dieu ne m’aime pas ; Dieu est absent de ma vie ; Dieu est lointain ; Dieu me fait peur. » Il y a une sainte qui l’avait bien décodée cette ruse d’amour, c’est sainte Thérèse de l’Enfant Jésus quand elle écrivait : « Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit… je l’aime !… car Il n’est qu’amour et miséricorde ! » (LT 266)

Au fond, c’est peut-être cette tendresse de Dieu qui est la clé du mystère de Noël : c’est parce que nous nous laissons toucher et attendrir par le Seigneur que nous nous ouvrons vraiment à sa nouveauté mais aussi que nous pouvons nous rencontrer en profondeur, en frères et sœurs de Jésus. C’est le moment, l’heure est venue, frères et sœurs, de sortir de notre endurcissement et de nous laisser toucher par la grâce de Dieu. L’Enfant-Dieu nous tend la main, c’est le moment de la saisir et de nous décider à ne plus la lâcher : alors nous connaîtrons la nouveauté de son amour, nous expérimenterons que sa tendresse est infinie, nous rencontrerons ceux que nous n’attendions pas. Voilà comment le mystère de Noël transfigure le mystère de toute naissance : que ce mystère soit aussi celui de notre propre naissance à la vie de Dieu. Oui, vraiment, joyeux Noël à nous !

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau ocd

[1Condition de l’homme moderne, trad. Georges Fradier, Calmann-Lévy, 1993, p. 278

[2Messe solennelle d’inauguration du pontificat du pape François, 19 mars 2013

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