Homélie pour la Croix glorieuse (14 septembre)

donnée au couvent de Paris

Textes : Nb 21, 4b-9 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17

Cette fête de la Croix glorieuse que la liturgie nous invite à célébrer aujourd’hui nous place au cœur du paradoxe chrétien : comment ce signe de malédiction qu’est la croix a-t-il pu devenir une source de bénédiction et de salut ? Comment la vie peut-elle jaillir de la mort ? La joie de la souffrance ? Ces questions sont tellement vitales qu’on ne peut les ignorer. Elles reviennent lancinantes, surtout peut-être dans les moments d’épreuve. Seule la foi en la Parole de Dieu permet d’éclairer ce mystère qui commande notre vie.

L’Evangile nous ouvre un chemin lorsque nous entendons Jésus nous dire : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». Cette phrase contient plusieurs mots clés qui sont autant de mots phares : le premier est l’amour, Dieu, le Père, à tant aimé le monde. La croix de Jésus ne peut être source de vie éternelle que par le poids d’amour qui s’y révèle. C’est l’amour qui fait que cette croix ouvre un chemin de vie. Mais il faut bien noter que cet amour du Père, si grand, ne se singularise pas d’abord par son immensité, à savoir que Dieu aime infiniment plus que les hommes ne peuvent aimer. L’amour de Dieu se différencie de l’amour humain en ce qu’il est totalement gratuit. Il nous est très difficile de réaliser ce qu’est cette gratuité, car nous sommes incapables par nous-mêmes d’un tel amour. Et nous pensons spontanément que Dieu nous aime plus quand nous l’écoutons et moins quand nous l’oublions, comme si nous méritions en quelque sorte d’être plus ou moins aimés. Or Dieu nous aime inconditionnellement, bons ou mauvais, fidèles ou infidèles, et il nous appelle à oser croire à un tel amour qui ne se mérite pas, incompréhensible humainement, et à l’accueillir en nous émerveillant.

Cristo Juan

Dieu n’a pas non plus de prix à payer pour le rachat de nos péchés et notre libération par rapport aux forces des ténèbres qui nous habitent. Le Père nous donne son Fils, gratuitement, et ce fils est lui-même heureux d’entrer dans ce projet d’amour où lui-même se donne à son Père et aux hommes. Un tel amour vécu jusqu’au bout a pouvoir de sauver, de réparer, de donner un sens à ce qui semble à vue humaine insensé, d’illuminer les ténèbres les plus épaisses. Nous en avons tous plus ou moins l’expérience : combien le fait d’être vraiment aimé d’un bel amour humain est recréateur, en nous renouvelant dans notre identité et nos énergies. Combien plus s’il s’agit d’un amour divin totalement gratuit.

L’horizon cependant est exigeant, car il passe par la reconnaissance du mal, de la violence, de la mort à l’œuvre en nous et autour de nous. Il s’agit de « regarder » la Croix, sans méconnaitre notre misère, notre péché. Ce serait nous priver de l’expérience du salut, du pardon à recevoir et à donner. La Croix, chemin vers la vie, garde sa part de mystère à contempler dans la foi. En haut du mât de la Croix, ce n’est plus un serpent d’airain que nous regardons comme les hébreux étaient invités à le faire dans le désert, pour échapper à la mort. Nous contemplons le Fils de Dieu qui s’est livré pour nous dans une passion, qui passa certes par la grande, l’incommensurable souffrance, mais fut une passion d’amour. Le christianisme est bien la religion de l’amour. Et cela, nous le contemplons dans le cœur transpercé de Jésus qui est comme un livre ouvert où se lit le message d’amour d’un Dieu qui se révèle en se livrant sans réserve. Voilà le centre de notre foi : croire en Jésus, Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré par amour pour moi, et pour tous les hommes : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. »

Croire, c’est encore discerner la gloire du Dieu d’amour resplendissant sur le visage défiguré du crucifié. Dans la blessure de son cœur nous trouvons bien plus que la simple guérison issue du serpent d’airain. Dans le désert de nos vies, lorsque nous regardons la blessure du Crucifié, nous y puisons le salut, la transfiguration de nos existences marquées par les souffrances et le péché. Et déjà nous participons à la Vie éternelle, à cet échange d’amour du Père, du Fils et de l’Esprit qui fait leur bonheur et nous est offert en partage pour que ce bonheur soit aussi le nôtre, éternellement. Tout homme y est appelé.

« Père, à chaque Eucharistie, tu renouvelles pour nous le même et unique mystère : Dans l’Esprit, tu te donnes totalement en ton Fils bien-aimé. Ranime notre foi, notre espérance et notre charité, pour que nous ne laissions perdre aucune des grâces dont tu veux nous combler. Conduis-nous à travailler pour que tout homme puisse reconnaitre et suivre le chemin de la vie afin que nous parvenions ensemble à la gloire de la résurrection. »

fr. Dominique Sterckx
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