Canonisation d’Elisabeth de la Trinité (Homélie 16 oct. 2016)

donnée au couvent de Paris

Homélie pour la canonisation d’Elisabeth de la Trinité

Textes du 29° dimanche du TO  : Ex 17, 8-13 ; 2 Tm 3, 14 – 4, 2 ; Lc 18, 1-8

Jésus pose dans la finale de la péricope de l’Évangile que nous venons d’écouter, une question fondamentale qui retentit encore dans le cœur de l’homme et de l’humanité : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8). Depuis l’époque des Pères de l’Eglise, la Tradition nous enseigne trois venues du Fils de l’homme : son incarnation, sa venue quotidienne dans l’Eucharistie et dans l’univers, et sa venue en gloire. On comprend dès lors que la venue du Fils de l’homme n’est pas d’abord un événement lointain, mais un événement qui se réalise avant tout dans l’aujourd’hui de l’homme et de l’univers tout entier. La question est de savoir si cette venue quotidienne trouve l’adhésion de foi des hommes d’ici et d’ailleurs.

Il convient, à ce niveau du propos, d’éclairer ce que nous entendons par la foi. L’une des meilleures manières de définir un concept, ce n’est pas seulement de l’expliquer théoriquement mais surtout d’être en mesure de montrer comment une personne l’a incarné de telle sorte qu’il n’est plus possible de prononcer ce concept sans le rattacher à cette personne. Sainte Élisabeth de la Trinité qui nous est proposée comme modèle de vie chrétienne, et qui est aujourd’hui canonisée à Rome, a vécu sa foi comme un don qui l’ouvre à l’inhabitation de Dieu au plus profond de son être. Voilà pourquoi je voudrais nous inviter à laisser éclairer notre compréhension de la foi par l’expérience de cette talentueuse musicienne née en 1880, entrée au carmel à 21 ans et morte le 9 novembre 1906. La foi, pour Élisabeth, est le face à face de l’homme avec Dieu. En tant que fille de Jean de la Croix, elle comprend donc la foi comme le lieu où l’homme est éclairé sur sa véritable nature, et le moyen par lequel il est initié à la connaissance de Dieu. Or comme le dit l’évangéliste Jean, « la vie éternelle est qu’il te connaisse toi le seul vrai Dieu » (Jn 17, 3). Si donc la foi nous ouvre à la connaissance de Dieu et que la vie éternelle consiste en cette connaissance, on comprend dès lors que pour Élisabeth, avoir la foi c’est déjà vivre sur terre l’éternité de Dieu et être plongé dans l’abîme trinitaire.

Gardons nous toutefois de croire que pour la carmélite, la foi est tout simplement le fruit d’une méditation personnelle. Cette foi dont elle parle est un don de Dieu. La foi que le Fils de l’homme voudrait retrouver à sa venue, c’est avant tout l’accueil de cette présence divine en chacun de nous. Présence divine qui ne paraît pas toujours évidente, mais dont on prend conscience en acceptant le mouvement intérieur. Ce mouvement intérieur selon la sainte n’est pas statique, mais est appelé à progresser à la lumière de l’Esprit Saint. En mettant en lien la foi et l’Esprit, Élisabeth veut nous faire comprendre que la foi et la prière sont intimement liées. L’Évangile du jour est fondamental pour la compréhension de cette dimension de la spiritualité d’Élisabeth. Alors que Jésus donne une parabole à propos d’une femme qui, à force d’intercéder, reçoit ce qu’elle demande, il conclut son propos par une question sur la foi. On comprend dès lors que seule la prière, c’est-à-dire cette conscience qu’à l’être humain du regard de Dieu sur lui, peut éclairer notre foi.

Statue d’Elisabeth par Fleur Nabert

L’expression « éclairer notre foi », n’est pas ici fortuite ; elle voudrait signifier que pour notre sainte, l’accueil de la venue du Christ dans la foi ne se vit pas seulement dans les moments de joie, mais la foi se vit aussi bien dans la nuit que dans le combat. L’accueil de Dieu dans la foi révèle à l’homme aussi bien sa grandeur que sa limitation, car, à bien des endroits, Dieu nous apparaît incompréhensible. Cette incompréhensibilité que nous pouvons nommer avec Élisabeth « le Ciel dans les ténèbres » n’est pas pour nous un signe de la non existence de Dieu, mais elle est pour nous bienheureuse car elle ravive notre foi et nous maintient dans l’espérance qu’un jour nous verrons Dieu dans sa gloire. Aussi, la foi comporte en elle cette dimension sacrificielle, parce qu’accueillir le Dieu qui vient à nous ne nous épargne pas des réalités liées à notre humanité. La joie, l’aridité spirituelle, la maladie, les épreuves que chacun que de nous connaît, peuvent être aussi une manifestation du divin si nous savons et surtout si nous voulons les accueillir dans la foi.

De telles affirmations ne sont pas que des simples propos ; Élisabeth, les a vécues et les a assumées dans son existence. C’est elle qui, avant même d’entrer au carmel, c’est-à-dire étant toute jeune laïque, comprenait sa vie comme « un éveil à l’endroit des choses divines » et comme un lieu d’apostolat dans la simplicité et dans la charité. C’est elle qui, seulement quelques jours avant ses vœux solennels, éprouvait une aridité spirituelle, mais qui, au cœur de « ce ciel obscur » dans la confiance en Dieu, parvient à la claire connaissance que son ciel commence sur la terre, et que ‘‘le soleil est toujours présent même quand il est caché par les nuages’’.

C’est aussi elle qui, à l’âge de 26 ans, loin du dolorisme, accueille la maladie d’Addison, non pas comme un abandon de Dieu, mais comme un lieu d’expérience de la miséricorde divine, de transformation en amour, d’approfondissement de la Sainte Écriture, précisément les écrits de Saint Paul, et d’union à Dieu. On peut dire avec Élisabeth que c’est la réponse que nous donnons à ces réalités du quotidien qui redynamise notre foi et ne font pas de la foi qu’un moyen, mais un ami intime qui nous introduit à la présence de Dieu et nous ouvre à tous ceux qui nous entourent. Je voudrais terminer en soulignant que le message d’Élisabeth ne s’adresse pas avant tout à des spécialistes en spiritualité, ni seulement à la famille du Carmel. Élisabeth s’adresse à chacun de nous, quelque soit notre état, car la conviction la plus intime d’Élisabeth réside dans le fait qu’en chacun habite la Trinité et que nous sommes tous convoqués à la louange de gloire !

Frères et sœurs, vous convenez avec moi qu’il y a tellement à dire sur la spiritualité d’Élisabeth que la meilleure manière de parler d’elle sera tout simplement d’unir notre cœur au sien et de dire avec elle :

« Ô Feu consumant, Esprit d’amour, « survenez en moi » afin qu’il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe : que je Lui sois une humanité de surcroît en laquelle Il renouvelle tout son Mystère. Et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, « couvrez-la de votre ombre », ne voyez en elle que le « Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complaisances ».

Ô mes Trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie. Ensevelissez-vous en moi pour que je m’ensevelisse en vous, en attendant d’aller contempler en votre lumière l’abîme de vos grandeurs. »

fr. Elisé Alloko ocd
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