Immaculée-Conception 2013

Frères et sœurs,

Etonnante manière, semble-t-il, que de célébrer la Conception Immaculée de Marie en proclamant l’évangile de la Conception de son Fils - l’Annonciation - mais saurions-nous faire autrement ? Toute la beauté mais aussi la difficulté de cette fête sont là : pour fêter la Conçue, il faut la contempler concevante ! L’Immaculée-Conception est ainsi une fête profondément théologique qui dit le salut offert à tous (ce qu’expriment les deux premières lectures de ce jour : le besoin et la prédestination universels au salut) mais admiré du point de vue de cet être singulier qu’est la Vierge Marie. Fête borderline, fête sublime, fête pour l’Avent, ainsi pouvons-nous vivre ce jour…

Parler de fête borderline, c’est parler comme un topologue de la théologie : il y a dans le dogme de l’Immaculée-Conception comme un passage à la limite (border), un peu comme on parle de la limite d’une suite ou d’une fonction. A partir des données de la foi et de l’Ecriture, il y a la perception de la convenance de la sainteté de Marie depuis toujours, c’est-à-dire en-deçà de toute purification, comme premier fruit du salut (« par une grâce venant déjà de la mort de ton Fils » dit l’oraison) avant même l’accomplissement de celui-ci : « rien n’est impossible à Dieu » ! C’est un passage à la limite du côté des origines tout comme l’Assomption est un passage à la limite du côté de la fin : tous deux disent que la grâce nous précède et nous devance toujours. Si je parle de fête borderline, c’est qu’elle demande des précautions particulières de langage et d’enracinement dans la totalité de la foi – l’histoire compliquée de la proclamation de ce dogme le montre bien. Car cette fête est sans appui scripturaire positif ; elle risque aussi de nous montrer Marie sans son Fils alors que c’est en raison de son Fils qu’elle est immaculée (« la fleur est fille de son fruit »). Car cette fête risque d’insister sur les privilèges de Marie en oubliant que sa singularité est au service du salut de tous ; elle risque aussi le langage négatif (préservée du péché, ce qui est une double négation) alors que, selon une algèbre théologique élémentaire, il s’agit d’une affirmation formidable : la beauté absolue de Marie. Bref, au risque d’apparaître désuète voire suspecte, la fête de ce jour nous renvoie au cœur de la foi. C’est pourquoi elle nous émerveille tant : le salut en le seul Christ, par la grâce seule et la prédestination universelle au salut et à la sainteté dont Marie est le modèle éminent.

C’est ainsi qu’il faut aborder cette fête splendide : plus sous le mode du symbole que du concept, de l’admiration que de l’explication. « On a trop causé – on cause trop de la Vierge Marie. Toute cette emphase à son sujet la déflore et cette manie que l’on a de faire d’elle une exception la complique. Retournons à l’Immaculée-Conception de l’Evangile. La Vierge n’est pas dans le bavardage mais dans une espèce de silence dont le climat imprègne tout ce que l’on dit d’elle, lors même qu’on ne la nommerait pas et d’autant plus peut-être qu’on ne la nomme pas. Car la nommer, parfois, fait déjà trop de bruit » méditait un moine, théologien et poète, quelqu’un qui sait penser, qui sait parler et qui sait se taire… Oui, nous célébrons en ce jour la fête de la beauté, de la lumière et de la pureté et c’est dans la scène de l’Annonciation que nous contemplons la beauté de Marie. Je voudrais en souligner trois traits autant que l’on puisse décrire la lumière ou peindre la transparence. « Comblée de grâce » : c’est avant tout le choix de Dieu qui rend beau. Si la foi chrétienne a compris ce choix comme la singularité d’une Immaculée-Conception c’est pour nous dire, qu’au creux même des méandres de notre histoire souvent peu immaculée, notre beauté, notre dignité unique, réside pareillement dans le choix de Dieu de chacun d’entre nous : « choisi avant la création du monde » dit saint Paul. Deuxièmement, le trouble de Marie (« elle fut toute bouleversée ») dit sa pureté : contrairement à Adam et Eve, honteux de leur nudité et qui se cachent, Marie, la nouvelle Eve, est sans cachoterie ni honte. Dans notre scène évangélique, elle entre dans un dialogue comme transparent : comment cela va-t-il se faire ? Notre impureté est souvent notre peur qui se recroqueville, mutique et solitaire. Enfin son oui (« qu’il me soit fait selon ta Parole ») est comme l’anti-péché par excellence. Dans son cœur, le péché n’a pas de prise : il est au sens étymologique simple c’est-à-dire sans pli. Pour nous, notre simplicité a besoin de simplification mais Marie nous en montre le chemin et l’horizon. Bref, en Marie, nous contemplons la lumière transparente de son oui et la pureté absolue de son humilité. Sa beauté est celle de Dieu et celle de sa réponse : « je suis belle car j’aime » nous dit Marie.

Fête borderline, fête splendide, l’Immaculée-Conception est enfin une fête qui ne nous détourne pas de l’Avent, au contraire. Vous savez que le calendrier liturgique orthodoxe fait commencer l’année avec Marie, c’est-à-dire chez eux avec la Nativité de la Vierge. Avec notre fête, a priori peu œcuménique, nous retrouvons cette intuition : commencer avec Marie, voilà bien le temps de l’Avent ! Temps des commencements toujours neufs, temps de la promesse inépuisable, temps de l’accueil et du consentement au don insigne de Dieu, temps de la joie : que cette fête et que la Vierge Marie, la Toute-Sainte, nous réjouissent et nous entraînent sur ce chemin de l’attente de la venue du Sauveur ! Amen

Fr. Guillaume, ocd

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