Jésus, au service de notre cheminement de foi (Ho. 3e Dimanche de Pâques - 23/04/23)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année A) : Ac 2, 14.22b-33 ; Ps 15 (16) ; 1 P 1, 17-21 ; Lc 24, 13-35

Avec le récit des pèlerins d’Emmaüs, nous nous retrouvons au soir du jour de la résurrection, alors que le désespoir des disciples marque encore leurs cœurs. Nous retrouvons deux disciples, démoralisés par la mort de Jésus, qui quittent Jérusalem et la communauté des apôtres pour vraisemblablement retourner chez eux, après cette belle expérience vécue avec Jésus, mais qui s’est conclue par un échec.

Le plus touchant, me semble-t-il, dans ce récit des disciples d’Emmaüs, c’est la grande délicatesse de Jésus dans la manière dont il accompagne les disciples et qui est caractéristique de l’amour de Dieu pour nous. Cette manière de Jésus de se rendre présent à ses disciples et de les accompagner n’a rien d’une manifestation glorieuse. Jésus ne se dévoile que peu à peu et il ne s’impose pas par sa puissance, et même, c’est au moment où les disciples d’Emmaüs le reconnaissent qu’il s’échappe et qu’ils ne peuvent le retenir.

Nous relevons encore la grande délicatesse de Jésus dans la manière dont il les rejoint sur le chemin, en arrivant simplement par-derrière, il se fait semblable à ces pèlerins et il les rejoint sur leur chemin. Grande délicatesse de Jésus encore qui fait l’ignorant pour permettre aux disciples d’exprimer leur tristesse, leur déception et leurs questions. Jésus les a rejoints non seulement physiquement, il veut aussi les accueillir dans ce qui fait leur état d’âme à ce moment. Et ce n’est qu’une fois qu’ils ont pu exprimer le fond de leur pensée et de leurs préoccupations, qu’il prend le temps d’expliquer les écritures et les événements qui se sont déroulés. Et là encore, avec une grande délicatesse, non pas pour se mettre en avant, mais pour servir le cheminement de foi de ses disciples. Jésus est d’abord là pour les aider à comprendre, pour cheminer dans la foi, et non pour être reconnu dans la gloire de sa résurrection.

Il se met au service du cheminement de foi de ses disciples, et il les sert encore en célébrant pour eux la seconde eucharistie de Jésus sur terre. Et là, à ce moment, les deux pèlerins d’Emmaüs, se rendant compte que leur cœur était tout brûlant quand Jésus leur parlait et se souvenant de la Sainte-Cène, ils sont alors capables de le reconnaître, mais Jésus ayant accompli sa mission se retire. Jésus n’attend pas une reconnaissance particulière, il n’attend pas un acte d’adoration ni même de remerciements. Il était là au service de la foi de ses disciples, leurs cœurs s’étant réchauffés et leurs yeux s’étant ouverts, sa mission de service est accomplie et il peut se retirer.

L’amour profond de Jésus pour ses disciples se manifeste par sa grande délicatesse au service de leur cheminement de foi. Sa mission est de conduire l’humanité vers Dieu son Père, et la délicatesse avec laquelle Jésus l’accomplit est tout simplement divine ! Car, c’est en effet le mode habituel de Dieu pour se manifester aux hommes, pour se révéler. Car la grande question pour Dieu, la problématique essentielle pour le Seigneur dans son désir de se faire connaître des hommes est de savoir comment se révéler sans s’imposer ! Se faire connaître sans forcer la liberté de l’homme, susciter la foi et non pas l’imposer.

Car pour que l’acte de foi ait une valeur, il faut qu’il soit une réponse libre d’amour. La liberté est la condition essentielle d’un amour authentique. C’est parce que je suis libre de te dire ‘je t’aime’ que ce ‘je t’aime’ bouleverse la personne aimée et lui donne de la valeur. Seuls les pervers jouissent d’imposer un acte qui n’est en définitive qu’une caricature de l’amour. Le pervers trouve son plaisir dans la manipulation, la violence et l’emprise. L’amour véritable suppose lui une réponse libre, même s’il y a un jeu de séduction, cette séduction se limite à l’invitation, il s’agit de susciter une réponse et non pas de mettre la main sur l’autre. Il y a là un équilibre subtil, délicat, mais essentiel et qui distingue l’amour véritable de l’amour pervers.

Il en est de même dans l’acte de révélation de Dieu à l’humanité : il doit en faire assez pour se faire connaître, mais pas trop pour ne pas s’imposer. Car sinon, la réponse de l’homme ne serait plus libre. En effet, le but premier de Dieu n’est pas d’imposer sa volonté à l’humanité, mais le but premier et essentiel pour le Seigneur, comme pour Jésus sur le chemin des pèlerins d’Emmaüs, est de susciter un acte de foi qui est un acte de confiance et d’amour. Le Dieu des chrétiens n’est pas le Dieu de la soumission, mais celui de la relation d’amour, qui suppose toujours un acte libre. Si Dieu se révélait à l’humanité dans toute sa grandeur et sa majesté, les hommes le reconnaîtraient, lui rendrait hommage, mais dans un acte de soumission à l’évidence de son être glorieux et de sa volonté de puissance.

Ainsi, par sa manifestation glorieuse, Dieu n’aurait gagné que de nouveaux serviteurs, des personnes qui reconnaîtraient l’évidence de l’existence et de la volonté divine. Mais il aurait perdu des fils, des personnes libres qui par leur acte de foi vivent une relation de confiance et d’amour. La révélation est donc un équilibre délicat entre la manifestation de Dieu à l’humanité et le respect des consciences et de la liberté humaine. C’est pourquoi nous pouvons concevoir que tout ce que nous ne comprenons pas dans le mystère du monde et dans le mystère de Dieu, la place en nous du doute et du questionnement, voire l’obscurité qui parfois nous habite, tout cela, à côté aussi des raisons de croire que nous avons, des petites lumières que nous avons reçues sur notre chemin de vie, tout cela, c’est l’espace que Dieu laisse à notre liberté et à notre responsabilité pour que nous puissions poser un véritable acte humain de foi libre. S’il n’y avait pas la possibilité de ne pas croire, il n’y aurait pas véritablement d’acte de foi.

Il me semble que la preuve du grand amour de Dieu pour nous, c’est sa profonde délicatesse qui s’exprime dans le respect de notre liberté, il nous donne par sa révélation délicate la possibilité de croire et non pas l’obligation de croire. Comme Jésus sur le chemin d’Emmaüs, Dieu nous rejoint et nous accompagne, ils suscitent l’acte de foi, mais sans jamais l’imposer. Comme les disciples d’Emmaüs, dans notre vie nous aurons des signes, le cœur tout brûlant à certains moments, et une compréhension du mystère qui nous donnent des raisons de croire, mais juste assez, jamais de trop, ce qui anéantirait notre liberté. « Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards » Nos raisons de croire n’effacent jamais totalement nos questionnements et nos doutes qui sont les moyens pour Dieu de susciter une réponse libre de confiance et d’amour, un bel acte de foi.

Fr. Antoine-Marie Leduc, ocd - (Provincial)
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