Jour de Noël 2013

Quelle est notre joie en ce jour ? Où-elle ? Sur quoi repose-t-elle ? Comment s’exprime-t-elle ? Notre évangile, à vrai dire, n’en parle pas. Où sont d’ailleurs la crèche, les bergers, les anges et même la Sainte Famille ? Disparus eux aussi des lectures de ce jour ! Le prologue de saint Jean, ce poème admiratif du mystère de Dieu qui se donne, est comme l’autre approche d’une même contemplation de Noël dont la messe de la nuit, avec le récit des bergers, en est l’approche narrative : raconter et comprendre, comprendre et s’émerveiller pour creuser la joie de Noël, pour la laisser sourdre et jaillir en nos vies, voilà ce que nous vivons dans la liturgie de ces jours ! Quelle est donc notre joie ? C’est la joie de Dieu lui-même et de ceux qui le reçoivent, c’est la joie des pauvres et des enfants de Dieu, c’est aussi la joie du Baptiste. C’est fondamentalement la joie d’une naissance : naissance en Dieu, naissance de Dieu, naissance de l’homme. Méditons-les et accueillons la joie multiforme que Dieu y donne…

Notre joie est joie de Dieu car Noël est à vrai dire Fête-Dieu, la principale, la principielle. Comme celle à laquelle le nom est réservé, la fête de Noël nous donne en effet la joie de célébrer Dieu qui se donne, Dieu qui se révèle, dans la chair, vrai corps et vrai sang, vrai homme et vrai Dieu. Qui est donc Dieu ? Voilà la quête, la seule qui vaille, je crois, toujours inachevée, pas toujours signifiée, mais qui nous travaille et nous transforme, quand nous prions, quand nous aimons, vivons les sacrements, scrutons la Bible ou relisons notre vie pour expérimenter la Parole de Dieu. Aujourd’hui, le Prologue de Jean nous y accule et nous fait méditer le mystère de Dieu (« le Verbe était Dieu » et « le Verbe était auprès de Dieu » ; ce qu’exprime autrement l’épitre aux Hébreux avec « le reflet resplendissant de la gloire de Dieu »). La théologie trinitaire, en germe dans ces expressions, comprendra qu’en Dieu même, il est question de naissance : Dieu n’est qu’en naissant. Dieu est don en lui-même et se donne : le Verbe s’est fait chair et pourrions-nous traduire, sans argotisme et même avec précision, « il a créché parmi nous ! » Mystère étonnant qui ne peut s’exprimer que sous la forme du paradoxe : ainsi pour reprendre l’évangile : dans son rapport au monde - « [le Verbe] était dans le monde, lui par qui le monde s’était fait » - ou dans son rapport au Baptiste - « lui qui vient derrière moi, il a pris place devant moi car avant moi il était » - Mystère inimaginable, inouï et en même temps comblant les désirs les plus profonds et les plus secrets de notre cœur : voilà la joie de cette Fête-Dieu ! Cependant deux précisions vont la qualifier. « Dieu, nul ne l’a jamais vu ». Dieu se révèle dans notre monde et le Verbe se fait l’un de nous mais Incarnation n’est pas idolâtrie. La joie de Noël n’est pas une joie de possession - Dieu ne se manipule pas - mais une joie d’adoration, de silence, de respect. Nous parlons de naissance : on ne crie devant un enfant qui dort ! La deuxième précision qui parcourt notre texte, c’est que la Révélation est livrée à notre accueil, à notre foi. L’image de la lumière et des ténèbres en donne l’enjeu : recevoir ou ne pas recevoir le Verbe, c’est la grande question ! La joie de Noël est ainsi celle du ‘oui’ donné ; elle est humble et fragile, consciente de sa gracieuseté. « Grâce après grâce » : « joie après joie » pourrions-nous poursuivre, car il y a joie d’être remplie de joie comme il y a la grâce de recevoir la grâce ! Résumons-nous. Dieu est révélé mais toujours au-delà : une nécessaire réserve apophatique s’imposera toujours. Dieu se révèle mais se livre ainsi à la foi de l’homme : on ne connait Dieu que par le Christ, l’unique médiateur dont on ne contemple le mystère que dans la contemplation des mystères de sa vie, son Enfance mais indissociablement son mystère pascal (l’épitre aux Hébreux évoque d’ailleurs son Ascension). « Le Fils unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaitre, littéralement c’est lui qui l’a raconté », lui le seul exégète du Père. La Joie de Noël c’est donc la joie de Dieu qui se donne et la nôtre quand nous le recevons : « nous avons vu sa gloire » ! Mais Dieu se donne par le bas, pourrions-nous dire, chez nous : joie du ravi de la crèche qui sait y voir, joie des pauvres qui savent y croire, joie des enfants de Dieu.

Fête-Dieu, Noël est aussi la fête de l’humanité, la vraie ! Si Noël est révélation de Dieu, le Verbe fait chair, elle est de ce fait révélation de l’homme, de cette chair dont il est pétri, de son insigne dignité. L’Antiquité chrétienne (pensons aux sermons de saint Léon) l’avait déjà perçu : croire en Dieu, c’est croire en l’homme et servir les petits. Il ne s’agit pas d’idolâtrie ni d’anthropocentrisme mais du respect de Celui qui s’est fait l’un d’eux. D’ailleurs, notre prologue ne parle pas d’autre naissance que de celle des enfants de Dieu. Devenir enfants de Dieu, voilà la naissance de chaque Noël : devenir davantage ce que nous sommes ! Admirable échange que toute la Tradition a chanté : Dieu se fait homme pour que l’homme devienne fils de Dieu ! La joie de Noël est donc celle d’une naissance, la nôtre ! Oui, telle est notre dignité : l’homme est aimé donc aimable, digne d’être aimé et donc capable d’aimer, quels que soient les obstacles de notre histoire. Croyons-le, les ténèbres n’ont pas arrêté la lumière ! La joie de Noël est enfin celle du Baptiste, si présent dans notre évangile : c’est la joie du témoin. De même qu’il n’y a pas de naissance sans faire-part, la joie de Noël réside aussi dans son annonce, joie des bergers hier, joie des guetteurs de notre première lecture. « Nous avons vu sa gloire » s’exclame et acclame l’évangéliste. Dieu nous devance sur ce chemin : le Verbe s’est fait chair et il a prêché parmi nous ! Joie de l’Annonce qui s’accompagne indissociablement de celle du service des pauvres et de la Paix, telle est aussi la joie de Noël.

Fête-Dieu et fête de l’humanité, il n’y a que l’évangile pour rassembler ce que les hommes opposeraient ! Notre joie de ce jour est la joie multiforme d’une naissance avons-nous médité : naître, connaître, renaître… La joie et la naissance ont d’ailleurs en commun un même goût de promesse, de gratuité, de vie, de mystère. Joie de Noël, joie de l’évangile, gaudium evangelii : qu’elle enchante, encourage, fonde et féconde toute notre vie ! Amen

F. Guillaume, ocd Avon

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