Textes liturgiques (année B) : Jb 38, 1.8-11 ; Ps 106 (107) ; 2 Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41
Si dans les évangiles, il y a un récit sans cesse d’actualité, c’est bien celui de la « tempête apaisée ». Ce passage de la tempête apaisée nous est bien connu. Il figure dans les évangiles de Marc (Mc 4, 35-41), de Matthieu (Mt 8, 23-27) et de Luc (Lc 8, 22-25). Aujourd’hui, nous avons entendu ce récit dans la version de Marc, qui est la plus dépouillée et la plus synthétique. Dans cet épisode aussi puissant qu’émouvant, l’évangéliste Marc n’a gardé que l’essentiel : révéler ou dévoiler la nature divine de Jésus : Jésus est vrai homme et vrai Dieu. C’est saint Paul, dans la seconde lecture, qui nous donne la clé de ce que nous devons comprendre aujourd’hui : « le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. Désormais, nous ne regardons plus personne d’une manière simplement humaine » (2 Co 5, 14-17). Mais pour vivre de ce que décrit saint Paul, nous devons comprendre que Jésus nous invite à passer des rives du monde présent aux rives du Royaume des Cieux.
La traversée d’un bout à l’autre du lac est une bonne image pour parler de la vie en général. Jésus invite ses disciples à un déplacement, à un changement. Or, tout changement, quel qu’il soit, peut réserver des surprises : on quitte ce qui est connu pour aller vers l’inconnu. Et dans ce déplacement ou cet exode, il n’y a pas de retour possible : il nous faut avancer, gagner le large, que nous le voulions ou non ! C’est un voyage rempli de risques et de péripéties, dans lequel nous sommes parfois embarqués un peu malgré nous. Ce passage vers l’autre rive est difficile surtout lorsque les grandes tempêtes surviennent dans la vie. Ces tempêtes peuvent se manifester de différentes manières : les catastrophes dites « naturelles », les accidents, les maladies physiques, morales ou psychiques, le décès d’un proche, l’expérience du chômage, de la trahison, etc., qui nous déstabilisent et qui, comme pour les disciples de l’Évangile, peuvent nous submerger au point de nous effrayer… Cette rive de plénitude du Royaume de Dieu, que Jésus nous propose d’atteindre, bien que libre d’accès, n’est pas toujours facile à atteindre. De violentes tempêtes peuvent nous empêcher d’accoster. Qui d’entre nous, un jour ou l’autre de son existence, ne doit pas affronter une terrible tempête où tout semble chavirer ? Période angoissante au cours de laquelle nous avons l’impression que nous allons sombrer, couler, être engloutis par les ennuis répétés, la fatalité, la malchance ?
Notre manque de foi nous fait réagir alors comme les disciples de Jésus : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » ou de manière plus usuelle : « Que fait Dieu, ne voit-il pas que nous sommes en difficulté ? » Ou encore, « si Dieu existait, il ne laisserait pas le malheur nous accabler ! » Autant d’accusations injustes qui surgissent de notre cœur et qui mettent en cause celui qui est l’auteur de la vie, le bonheur de toute l’humanité en chacun de nous. Mais peut-être que ces tempêtes, inhérentes à toute existence humaine, - et même Jésus n’en fut pas épargné ! -, nous révèlent nos ambivalences, nos fourberies, nos inconsistances… Ces tempêtes révèlent comment nous avons mis de côté Jésus lorsque tout allait bien dans notre vie, nous l’avons laissé endormi, nous l’avons rangé dans un coin de nos superstitions sur un beau coussin à l’arrière de notre mémoire ? En définitive, c’est nous qui l’avons abandonné. C’est alors que nous pouvons avoir l’impression que Dieu est absent, que Jésus se tait… Ou que Jésus dort et reste silencieux, qu’il est endormi… Alors, comme des désespérés nous crions : « Maître, nous sommes perdus… » !
Jésus sort de son sommeil. Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » La tempête se tait subitement. Et il nous rappelle ce qu’il a dit avant de monter dans la barque avec ses disciples : « Passons sur l’autre rive ! ». Peut-être avons-nous oublié que nous sommes autant contemporains de Jésus que le furent ses disciples, et qu’il marche à nos côtés chaque jour ? Et Jésus nous redit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». L’aventure de notre vie, personnelle ou collective, ne serait-elle pas ce nécessaire et périlleux passage d’une rive à l’autre ? « Passer sur l’autre rive » c’est déjà « le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » ?
Nous devons apprendre un nouveau langage, nous devons comprendre avec un nouveau paradigme. Ce nouveau langage et ce nouveau paradigme est la Foi que nous avons reçue le jour de notre baptême. Et c’est Dieu seul qui nous l’offre, et c’est le Verbe qui prend chair de notre chair, Jésus, qui nous explique comment en vivre. Cette Foi, c’est être assuré de toute notre intelligence que la victoire de Jésus, c’est le moment de la Résurrection, que Jésus est vainqueur de la mort. La Foi en Jésus vivant devient un langage, devient une manière de vivre ; la Foi en Jésus vivant devient la clé qui donne sens au mystère de la souffrance. La Foi en Jésus vivant nous permet de trouver le courage de vivre toutes les contrariétés du temps présent. La barque que nous prenons chaque jour pour atteindre les rives du Royaume de Dieu s’appelle la Foi. Cela nous fait peur ? « Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? ». Le contraire de la peur, c’est le courage de la Foi. Jésus nous invite à ne plus avoir peur, à redynamiser notre Foi, à la lumière de l’Esprit Saint. C’est ainsi que, tous ensemble, nous passerons sur l’autre rive pour vivre de ce que saint Paul décrit : « L’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous, et qu’ainsi tous ont passé par la mort. Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. Désormais, nous ne regardons plus personne d’une manière simplement humaine ».
Jésus ne nous dispensera pas des épreuves de la traversée. Mais, n’ayons pas peur, lui, le Vivant, il est notre Force. Nous avons l’assurance qu’il nous conduira sur l’autre rive, rive qu’il connaît bien puisqu’il l’a traversée avant nous ! « Passer sur l’autre rive », c’est oser partir, c’est oser se remettre en route pour recommencer à vivre, à aimer. « Passer sur l’autre rive », c’est vivre de l’eucharistie, et, j’en suis convaincu, l’eucharistie est la seule aventure digne de l’homme et de notre humanité. Amen.
Fr. Jean-Sébastien, ocd - (Couvent du Saint-Désert)