Textes liturgiques (année B) : Jon 3, 1-5.10 ; Ps 24 (25) ; 1 Co 7, 29-31 ; Mc 1, 14-20
En ce dimanche de la Parole, nous contemplons la Parole parler la Parole et convoquer notre parole. Oui, le Verbe de Dieu – la Parole de Dieu – qui est « Jésus proclame l’évangile de Dieu ». Littéralement, « proclamer » (kerusso) donnera le kérygme, c’est-à-dire le contenu de la foi chrétienne. Et l’« Évangile » est la Bonne Nouvelle, à comprendre là aussi dans un sens technique que, selon l’épitre aux Romains, « Dieu avait promis d’avance par ses prophètes dans les saintes Écritures [et qui] concerne son Fils ». Parole, Écritures saintes et kérygme : ce triptyque est au cœur de notre foi, qui est foi en la Parole.
Premier élément, celle-ci est tout à la fois évènement et message, présence et promesse, nouvelle et appel à la décision, à la « conversion » et à la « foi ». Entendre, accueillir la Parole et y répondre, tel est le ressort profond de notre vie de foi. Plus encore, la Parole de Dieu, c’est Dieu lui-même, le Verbe. Il est depuis toujours à l’œuvre dans la Création et dans l’Histoire, à la recherche de l’homme auquel il s’adresse et dont il attend une réponse, une parole.
Deuxième élément du triptyque, le Verbe s’est fait chair, il s’est fait Écriture ou plutôt les traces de son passage au cours de l’histoire du salut ont suscité écriture et réécriture par les hommes qui donnèrent lieu aux « Écritures », autrement la Bible. Cette précision est importante. On dit parfois un peu rapidement qu’on lit la Parole de Dieu mais il s’agit de l’entendre. En fait, on lit un texte des Écritures saintes, dont on croit à l’inspiration et à l’inerrance, et selon un processus qui requiert temps, effort et grâce de l’Esprit-Saint et que l’on a comparé à une mise à feu (« Quand la Parole prend feu »), on entend la Parole de Dieu, toujours nouvelle. C’est tout l’enjeu de la lectio divina avec ses moments de lectio, de meditatio et d’oratio : ce que l’Écriture dit – son contenu – ce qu’elle me dit – son interprétation – et ce qu’elle me fait dire – ses effets : ma réponse, ma prière, ma conversion, la croissance de ma foi, mes décisions. « Convertissez-vous et croyez » dit Jésus. C’est pareillement l’enjeu de toute liturgie de la Parole où la lectio divina se vit de manière communautaire voire sacramentelle. Enfin, troisième pan du triptyque, dans ce mouvement de réponse se situe le kérygme et à sa suite les dogmes, le discours théologique et sa régulation magistérielle mais aussi la littérature spirituelle qui rendent compte du message et de l’expérience de la foi. Parole, Ecritures saintes et kérygme : il est bon en ce dimanche de se redire tout cela mais surtout de le vivre. Car aujourd’hui encore le lectionnaire nous offre un buffet abondant : il y en a pour tous les museaux et tous les appétits ! Au fond la Parole parle de la Parole : la Parole comme présence, la Parole comme appel, la Parole comme discernement.
Premièrement, le « Royaume est tout proche », il est là ! Avant d’être un contenu, la Parole est une présence. C’est Jésus lui-même venu en notre monde, présent en chacun de nous, en chacune de nos assemblées. Deuxièmement, la Parole est un appel : appel des premiers disciples, appel à suivre, appel à laisser, appel qui transforme faisant passer de la stratégie du filet au jeu de la parole (peut-être est-ce cela « devenir pêcheur d’homme »), appel qui est promesse car la Parole est un appel que l’on n’entend véritablement qu’en y répondant. Troisièmement, la Parole intime un discernement : la conversion (la Parole met à nu les ambigüités de notre cœur et nous invite à la conversion. C’était le message de Jonas, c’est celui de Jésus). Ce discernement comporte également une perception nouvelle du temps. « Limité » selon Paul, « accompli » selon Jésus, le temps passe mais avant « Jésus passe » et rien dès lors ne se passe plus comme avant. Il donne une autre saveur, une autre couleur à notre temps, ce qui justifie le refrain de saint Paul : « comme si » (avoir femme, pleurer, être joyeux « comme si » ce n’était pas le cas). Il n’y a pas là invitation au désengagement (je pense aux fiancés de notre assemblée qui ne choisiront sans doute pas pour autant cette deuxième lecture pour la célébration de leur mariage) mais un sens nouveau des priorités, de l’essentiel, de l’urgence, de notre destinée « au ciel » qui donne poids et légèreté à nos engagements terrestres. En ce dimanche de la Parole, nous accueillons la Parole. Cela ne nous détourne pas de notre prière pour l’unité car n’est-ce pas dans l’accueil de la Parole et dans l’union au Christ Parole de Dieu que se vit et que s’accomplira l’unité des chrétiens ?
Dans son rapport à l’Ecriture, chaque confession a ses richesses et ses ornières. L’Orient atteste que le site natif de l’Ecriture est la liturgie et vit de l’expérience antique et toujours neuve des Pères de l’Eglise, au risque possible d’un certain immobilisme. Avec son « sola scriptura », la tradition réformée a développé une culture biblique populaire et un sens de la lecture personnelle de l’Ecriture, au risque possible du fondamentalisme ou à l’inverse de l’immanentisme quand l’articulation avec la Tradition et le sens de l’Histoire ne jouent plus. Et notre tradition catholique et romaine, pauvre d’une certaine ignorance pratique de la Bible et donc d’un certain cléricalisme, est riche de son sens de la médiation (Tradition, Ecriture, magistère) et de la théologie des saints, véritables herméneutes de l’Ecriture et témoins de la rencontre transformante du Verbe. Qu’en ce dimanche de la Parole s’attise en nos cœurs le désir de mieux l’écouter, le tourment peut-être de ne pas assez la scruter. « Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d’une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons, comme des gens assoiffés qui boivent à une source ». Laissons avant tout retentir la joie de la Parole et ces béatitudes qui jalonnent l’évangile : « heureux vos oreilles parce qu’elles entendent », « heureux es-tu Simon car cette révélation t’est venue non de la chair et du sang mais de mon Père qui est dans les cieux », « « heureux ceux qui sans avoir vu ont cru », « heureux celui qui ne sera pas scandalisé à mon sujet », « Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement ce de qui lui a été dit de la part du Seigneur », « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole et la mettent en pratique ! » Joie discrète, joie parfaite, joie qui demeure, joie qui transforme, joie qui envoie : « c’est un don et une tâche incontournable de l’Église de communiquer la joie qui vient de la rencontre avec la Personne du Christ, Parole de Dieu présente au milieu de nous » disait Benoit XVI dans Verbum Domini, texte dont je ne peux en ce jour que recommander la lecture. Alors que grandisse en nous le désir de la formation en Écriture Sainte, de la pratique de la lectio divina et du partage biblique ! Telle est notre mission, que telle soit notre joie ! Amen
Fr. Guillaume Dehorter - (Couvent d’Avon)