Le cœur : lieu de rencontre intime avec Dieu (Ho. Sacré-Cœur de Jésus - 16/06/23)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année A) : Dt 7, 6-11 ; Ps 102 (103) ; 1 Jn 4, 7-16 ; Mt 11, 25-30

La solennité du Sacré-Cœur de Jésus que nous célébrons aujourd’hui se veut moins la ratification liturgique d’une dévotion populaire que l’appel à une contemplation du mystère de la personne de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, source du salut. Le passage de l’évangile que nous venons d’entendre est l’un des rares dans les évangiles synoptiques où Jésus nous ouvre le mystère de sa personne en déclarant : « Je suis doux et humble de cœur. » Vous vous doutez bien qu’en nous parlant de son cœur, Jésus ne nous invite pas à nous fixer sur une partie de son anatomie, mais à contempler une expression du mystère de son être, vrai Dieu et vrai homme. C’est l’insondable richesse du Christ qu’aujourd’hui, nous sommes appelés à mettre en lumière.

Car le terme de cœur revêt une signification particulière dans la tradition biblique. Pour nous aujourd’hui, le cœur évoque tout d’abord la vie affective, les sentiments. Dans la tradition hébraïque, le cœur évoque toute la vie intérieure de l’homme. En plus des sentiments, le cœur est aussi le lieu de la mémoire, le lieu de la synthèse des facultés humaines, de la volonté et de l’intelligence. En définitive, la source même de l’être conscient, intelligent et libre, le lieu des choix décisifs. Le cœur dans son mouvement d’intériorisation est le lieu de la rencontre intime avec Dieu notre Père, et dans son mouvement d’extériorisation, il est l’origine volontaire de notre agir. Le cœur est dès lors le siège de la vie spirituelle et morale. On comprend donc l’importance primordiale que toute l’Écriture accorde au cœur humain, on trouve plus de mille concurrences à travers la Bible. Le don d’un cœur nouveau est même chez Ézéchiel le symbole du salut : « Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair ». Et la tradition évangélique nous exhorte à la garde du cœur, car c’est dans un cœur droit et généreux que la parole peut porter fruit, et a contrario, c’est d’un cœur mauvais que sort le mal.

Cette anthropologie biblique, qui fait du symbole du cœur le centre de l’être de la personne, appliquée au Christ Jésus nous amène à considérer son cœur comme un lieu théologique particulièrement important. La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus devient moins une dévotion marquée par l’affectivité qu’une contemplation de la personne de Jésus dans le mystère même de son être unique. Mystère de sa relation avec son Père, mystère de l’union de ses deux natures, mystère de son amour pour nous. Le cœur de l’homme est le centre symbolique de sa personne, le lieu de sa vie spirituelle et morale. De même, le cœur de Jésus est le centre du mystère de son être unique, le lieu symbolique où s’unifiait sa vie de Fils de Dieu et de fils de l’homme. Nous professons tous que Jésus est vrai Dieu et vrai homme, qu’en son corps, expression visible de son humanité, habite la plénitude de la divinité du fait de l’incarnation du verbe éternel du Père.

Et l’humanité de Jésus n’est pas une simple enveloppe pour la divinité du Verbe. Au long des siècles, l’Église a dû préciser sa compréhension du mystère de la personne de Jésus : une personne et deux natures, humaine et divine. L’humanité du Christ ne s’arrête pas à son corps, il a aussi une âme, une volonté et une liberté humaine. C’est à tout cela que le verbe s’est uni. Sa nature humaine fut pleinement assumée par sa nature divine sans confusion, mais dans une seule personne, ce qui s’exprimait existentiellement en un seul agir. Sa relation à Dieu et aux hommes manifestait tant son humanité que sa divinité, cependant le Christ Jésus n’était pas une personne divisée intérieurement. Bien au contraire, sa vie manifeste son étonnante unification intérieure, la parfaite harmonie entre son être et son agir. Dès lors on comprend que le cœur de Jésus, au sens biblique, fut le lieu de la synthèse du mystère de sa personne, le lieu de la grâce d’union hypostatique. La diversité de sa double nature converge vers son cœur pour n’exprimer qu’une seule prière vers Dieu son père et un seul agir de miséricorde envers les hommes ses frères.

Le cœur de Jésus est l’expression existentielle et le lieu symbolique de l’union des deux natures du Christ que l’on appelle union hypostatique. Son cœur devient le lieu où s’unissent et s’harmonisent toutes les dimensions qui composent la personne du Verbe fait chair. Si la personne de Jésus est pour nous la source du salut, on comprend alors que son cœur, au sens biblique, est le sommet mystérieux d’où coule cette source. Contempler le cœur de Jésus, c’est admirer le principe d’unité qui se déploie dans la vie et les œuvres du Christ de la crèche à la Croix et à la résurrection. C’est contempler le projet éternel de Dieu Notre Père réaliser dans le Christ Jésus. C’est comprendre la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de l’Amour du Christ qui surpasse tout ce que l’on peut comprendre. Car nous reconnaissons en premier lieu dans le cœur de Jésus l’amour de Dieu pour chacun nous, mais non un amour doucereux, mais plutôt un amour qui œuvre, qui cherche, qui se donne. Par amour de son Père et des hommes, le Verbe a pris notre nature humaine, par amour de son Père et des hommes, il annonce le Royaume et recherche ceux qui se sont égarés, par amour de son Père et des hommes, il est fidèle jusqu’à la Croix, et c’est pourquoi Dieu l’a ressuscité.

C’est cet amour en acte qui est pour nous la cause du salut en Jésus-Christ, dès lors le cœur du Christ apparaît comme le centre de ce mystère, la source symbolique. On peut donc affirmer théologiquement que le cœur de Jésus est le sommet et la source de l’œuvre de Rédemption. Le sommet, car c’est le lieu de la rencontre et de l’unification des deux natures du Christ, humaine et divine. La source, car c’est de ce lieu symbolique d’accomplissement du salut, où l’amour est reçu, vécu et donné. Ainsi il convenait que son cœur fût transpercé pour que la grâce du Christ se répande depuis cette source sur tous les hommes de tous les temps. Amen.

Fr. Antoine-Marie Leduc, Provincial ocd - (couvent d’Avon)
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