Textes liturgiques (année B) : Gn 11, 1-9 ; Ex 19, 3-8a.16-20b ; Ez 37, 1-14 ; Jl 3, 1-5a ; Ps 103 (104) ; Rm 8, 22-27 ; Jn 7, 37-39 ; Ac 2, 1-11 ; Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15
Le titre complet de la solennité que nous célébrons en ce jour est le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Si en général nous insistons légitimement sur le Corps du Christ, les textes liturgiques de cette année valorisent surtout le Sang du Seigneur. Cherchons à approfondir le sens de ce mystère du Sang du Christ. Avec le livre de l’Exode, la 1re lecture évoque l’alliance entre Dieu et le peuple hébreu fuyant l’Egypte et réfugié au Sinaï. Dieu vient de révéler sa Loi à Moïse qui la transmet en détails au peuple. Celui-ci la ratifie par deux fois en disant : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique. » Pour manifester le sérieux de l’engagement, Moïse prend alors le sang de taureaux offerts en sacrifice et en asperge le peuple en disant : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous. » Le sang est donc la signature et la trace de l’engagement moral et juridique du peuple devant Dieu ; mais il est aussi le rappel de l’engagement de Dieu. Le sang répandu devient donc le symbole d’un pacte, d’une alliance entre deux parties, Dieu et son peuple. On peut penser ici de façon plus ordinaire aux pactes de sang faits par des adolescents ou des adultes pour exprimer un choix qui les lie, à la vie à la mort. Car le sang est pour Israël le symbole de la vie ; ce qui est du domaine du sacré et qui va impliquer une codification entre pur et impur.
La 2e lecture extraite de la lettre aux Hébreux évoque un autre livre de l’Ancien Testament et un autre aspect du sang. Dans le livre du Lévitique, il est prévu un rite expiatoire par lequel est signifié le pardon des péchés du peuple ; c’est ce qui a donné naissance à la célébration du Yom Kippour, le Grand Pardon ; jour solennel où le grand prêtre entrait dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem pour implorer le pardon des péchés. L’aspersion de sang d’animaux faisait partie du rituel exprimant ainsi la purification des impuretés et des souillures du peuple. Le sang lave donc des péchés ; c’est la deuxième signification du sang. Il ne signifie pas simplement une alliance réciproque comme dans la 1re lecture mais l’action de Dieu qui purifie et rachète les péchés de son peuple. Le sang devient ici synonyme de la vie de Dieu qui rachète et sauve l’être humain enfermé dans son péché.
Or la lettre aux Hébreux insiste sur le fait que ces rites de l’Ancien Testament ne prennent un sens plénier qu’en regard de la vie et de la mort du Christ. Car qu’a fait Jésus avant d’entrer dans sa Passion ? Comme le rappelle l’évangile, il a présenté une coupe de vin à ses disciples en leur disant : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Jésus reprend donc l’expression de Moïse sur le sang de l’Alliance, sauf qu’il ne s’agit pas de sang de taureaux mais de « son propre sang ». Et l’effet est donc bien différent : il ne produit pas une purification extérieure mais une purification intérieure ; « le sang de Jésus nous purifie de tout péché » affirme la 1re lettre de Jean (1,7). De plus ce sacrifice n’a pas à être répété ; il a suffi d’une seule « fois pour toutes » pour instaurer cette alliance nouvelle conclue dans le Sang du Christ. Ce qui a été annoncé par Jésus au jeudi saint s’est réalisé le vendredi saint sur la Croix quand son sang a été répandu ; la fête du Sacré-Cœur de Jésus célébrée vendredi prochain rappellera combien le sang de Jésus a jailli de son cœur pour être répandu sur nous. C’est bien le Sang du Christ qui nous sauve et nous rachète ; c’est Lui qui nous lave de ce qui est contraire à Dieu. Par notre baptême, nous avons été sauvés par l’eau et le sang du Christ. Par la communion eucharistique, nous sommes rendus présents à la Croix où Jésus nous livre son corps et son sang. Nous ne faisons pas que le recevoir extérieurement ; nous y communions, en mangeant et buvant. Car le salut de Dieu n’est pas une réalité extérieure mais intérieure. Célébrer le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, c’est communier au salut concrètement par notre corps. Il ne s’agit pas de mots ou d’idées mais d’un acte concret et corporel : manger et boire. Dieu nous sauve par notre corps. On pourrait prendre ici l’image de la transfusion sanguine : le sang de Jésus injecté dans notre sang nous vivifie ; son corps assimilé nous redonne vie. Rassurons-nous cependant frères et sœurs : nous ne sommes pas des cannibales ! L’accusation d’anthropophagie contre les chrétiens n’a pas manqué au long des siècles. Nous communions au Corps ressuscité du Christ et un corps glorieux, c’est bien différent. C’est pour cela que le prêtre au moment de la fraction du pain, dépose une parcelle d’hostie dans la coupe : si la séparation du corps et du sang est propre au cadavre et symbolise la mort biologique, sa réunion signifie la vie nouvelle unifiée en une personne, corps et sang unis. Nous communions donc à la vie du Ressuscité, vie qui devient la nôtre dans la communion.
Enfin si nous recevons le sang du Christ, ce n’est pas pour rester les bras croisés, mais pour, à notre tour, verser notre sang, donner notre vie. En ce 2 juin, jour anniversaire de la mort du Père Jacques, nous pouvons penser à son testament spirituel citant la lettre aux Hébreux : sine sanguine non fit redemptio. Sans effusion de sang, il n’y a pas de rédemption. Le père Jacques n’est pas mort martyr mais il a versé sa vie à Avon et dans les camps de concentration : le Sang du Christ est devenu son sang, lui-même versé pour les plus petits et les plus souffrants. Nous n’avons pas le même appel que le père Jacques mais faisons attention quand nous venons communier. Le corps du Christ que nous recevons nous rend responsables ; il nous faudra donner par notre vie ce que nous avons reçu dans la liturgie. Nous recevons la vie, nous devrons donner notre vie, humblement, pauvrement mais véritablement, dans le concret de nos jours. Frères et sœurs, rendons grâce pour cette merveille de l’Eucharistie, cette invention désarmante de Dieu pour nous sauver et nous fortifier. Ne passons pas à côté de ce don prodigieux et demandons au Seigneur que nos vies deviennent eucharistie. Amen
Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau - (Couvent d’Avon)