Le scandale de l’eucharistie (Ho 21 dim. TO 22/08/21)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Jos 24, 1-2a.15-17.18b ; Ps 33 (34) ; Ep 5, 21-32 ; Jn 6, 60-69 ;

Scandale à Capharnaüm ! Jésus est en train de perdre la tête ou de se radicaliser dangereusement. Voilà qu’il parle maintenant de sa chair qu’il veut donner à manger. Pourtant jusque-là, cet homme était convaincant dans sa parole et séduisant dans son action miraculeuse. Que lui prend-il ? Il est en train de gâcher tout son travail apostolique de rassemblement et de formation. Jésus aurait bien besoin d’un conseiller en communication politique pour atténuer ses propos. Donner sa chair à manger et son sang à boire est tout à fait inaudible. Quelle est cette invitation à l’anthropophagie ? Non, trop c’est trop, il va trop loin. Nous ne pouvons plus continuer à le suivre.

Tel pourrait être le commentaire actualisé des disciples après le discours radical de Jésus à Capharnaüm. L’évangéliste Jean nous raconte un moment de crise profonde parmi les disciples, un point de rupture qui provoque le volte-face de beaucoup d’entre eux. Il y a quelque chose d’insupportable dans les paroles du Christ, hier comme aujourd’hui et il est important de le saisir. Bien sûr, il y a la lecture charnelle (littérale) des paroles de Jésus qui en rend l’accueil impossible, encore plus pour des Juifs pour qui le sang est sacré car le symbole de la vie. C’est même un blasphème. Mais plus profondément, s’il y a autant de tension dans ces mots, c’est que ceux-ci cristallisent beaucoup plus, au fond tout le dessein de Dieu. Jésus est en train d’exprimer de façon la plus crue la finalité de sa mission : restaurer l’Alliance de Dieu avec son peuple et ce, par la médiation de sa personne corps et âme. Le Fils est venu accomplir le dessein de Dieu annoncé dans l’Ancien Testament : le Créateur veut s’unir à sa créature. Mais désormais, ce ne sera plus une image ou une allégorie. Dans le mystère de l’Incarnation, l’Alliance devient la plus concrète possible. Dieu s’est uni à l’humanité en épousant sa condition même. Le Verbe est devenu chair, Dieu s’est fait homme. Dans la personne de Jésus, le Créateur et la création sont unis, Dieu et homme ensemble.

Aussi pour communier à la vie de Dieu, pour recevoir la vie éternelle, il n’y a qu’un chemin possible, celui de l’alliance avec Dieu dans le Christ. Et ce chemin n’est pas abstrait mais il passe par le corps, par la chair comme par l’esprit. Jésus nous donne sa personne, corps et âme, chair et sang pour réaliser avec chacun une alliance unique. Sur la croix, sa chair a été livrée, son sang a coulé et son esprit a été remis. Tout est donné, tout est accompli. Or par la grâce du sacrement de l’eucharistie, nous communions au corps et au sang du Fils de Dieu. Nous entrons dans son alliance ; c’est-à-dire que chacun de nous vit une expérience d’union avec le Fils de Dieu. Le don du corps est le geste le plus intime, le plus extrême de la remise de soi. En recevant la chair du Fils de l’homme, nous accueillons sa personne et nous sommes intégrés à son corps, incorporés dans sa divinité. Voilà pourquoi la messe est la source et le sommet de toute vie chrétienne. Toute grâce découle d’elle et reflue vers elle en action de grâce à Dieu par le Fils dans l’Esprit.

Voilà donc la grandeur et la beauté de ce don de Dieu. Jésus se donne et nous donne tout lui-même et il l’exprime de façon crue pour que nous le comprenions. Ce n’est pas un vague symbole mais une réalité ; simplement cette réalité est d’ordre sacramentel, dans l’invisible, dans la foi. Nous ne mangeons pas un cadavre mais nous communions à un corps de gloire, un corps ressuscité que nous ne saisissons pas mais qui nous saisit.

Mais alors pourquoi cela nous scandalise-t-il ? Pourquoi cette tension en nous comme pour les auditeurs de Jésus ? Notons d’ailleurs que le plus grand danger pour nous catholiques est de ne plus sentir cette tension à force de nous habituer à communier machinalement. L’Eucharistie doit toujours rester un scandale, une provocation, si nous la vivons vraiment. Cette tension vient du fait que notre être pécheur résiste à la grâce divine. Il n’aime pas que Dieu s’approche trop près de lui. Que Dieu nous parle, d’accord ; qu’il nous demande de lui obéir, passe encore. Mais nous sommes fort gênés quand le Dieu saint s’approche trop près jusqu’à l’intime. Cela réveille notre angoisse d’être engloutis par un dieu dangereux qui menacerait notre liberté. Nous préférons garder nos distances et prier un dieu lointain, derrière les nuages, un dieu qui ne nous déstabilise pas trop et qui nous laisse une certaine indépendance. Un dieu qui ne sort pas de son église !

Heureusement Dieu connaît notre cœur et il sait cette peur profonde. Aussi pour ne pas nous effrayer, c’est lui qui se laisse manger et engloutir. C’est lui qui vient à nous mais respecte radicalement notre liberté. Jésus n’est pas un gourou ; il laisse partir ceux qui paniquent ou s’enflamment de colère. Déjà Josué appelait Israël à choisir l’Alliance librement : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir. » Dieu ne veut pas des pantins ou des esclaves pour le servir mais des hommes et femmes libres et adultes qui le choisissent comme Époux. Et c’est pour cette raison, comme le dit saint Paul que le mariage est le plus grand signe de l’alliance entre Dieu et son peuple, entre le Christ et l’Église. L’homme et la femme deviennent une seule chair tout en restant deux, homme et femme. Unité, différence et complémentarité vont ensemble. L’union avec Dieu n’est pas une fusion ou une destruction. Elle est communion vitale et singulière qui transforme tout en respectant l’identité de chacun. Ce mystère est grand : nous sommes tous appelés à entrer dans cette expérience nuptiale des noces de la Croix.

N’ayons donc pas peur du scandale de l’Eucharistie. Ce n’est pas la parole de Jésus qui est rude mais notre cœur endurci qui ne supporte pas la tendresse divine. N’endurcissons plus notre cœur, retrouvons l’émerveillement des fiancés au seuil du mystère. Goûtons et voyons comme le Seigneur est bon. Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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