Voir et croire (Homélie du Jour de Pâques 12/04/20)

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques : Ac 10,34-43 ; Ps 117 (118) ; Col 3, 1-4 ; Jn 20,1-9

Voir et croire ! Voir dans la certitude et l’évidence du croire ; voir d’un croire qui soit, dans l’invisible, plénitude et présence : « Il vit et il crut. » A travers les différents verbes « voir » employés, l’évangéliste nous achemine vers ce voir qui culmine dans le croire.

Marie-Madeleine a constaté l’absence du corps de Jésus (blépein en grec) : « Elle court annoncer à Pierre et à l’autre disciple, celui que Jésus aimait : “On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé.” » Lorsque l’autre disciple arrive au tombeau, il constate , non pas l’absence du corps, mais les linges posés à plat. Demeuré comme Marie-Madeleine à l’extérieur, il fait lui aussi une constatation factuelle. Pierre quant à lui observe de l’intérieur et d’un regard insistant ; il contemple (théôrein en grec) « les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part, à sa place. » Il contemple ainsi, en plus des linges déjà constatés par l’autre disciple, le suaire qui a entouré la tête de Jésus roulé à part, à sa place. Son effort de compréhension le laisse cependant à l’extérieur du mystère.

« C’est alors qu’entra l’autre disciple … Il vit, et il crut. » Le disciple que Jésus aimait voit la même chose que Pierre, mais d’un voir différent. Il perçoit (eîdein en grec) l’état des linges mortuaires avec la mémoire de celui qui a participé à l’ensevelissement du corps : cette fois, il voit en plus des linges abandonnés par le Ressuscité, le suaire roulé à part, à sa place, c’est-à-dire à la place qu’il avait lors de la mise au tombeau.

Le reliquaire (l’Arca Santa) contenant le suaire d’Oviedo

Selon l’usage juif, lors du transport du corps, le visage du mort devait être recouvert. Le suaire d’Oviedo pourrait correspondre à ce linge, car il a servi a épongé le sang qui couvrait la face d’un homme supplicié. Enlevé avant l’enveloppement du corps dans le linceul, il fallait laisser dans le lieu de la mort ce linge maculé de sang et devenu impur. Roulé à part, il n’a donc pas été déplacé par la disparition du corps. A la différence des autres linges, il est dans la position qu’il avait lors de l’ensevelissement. Si le philosophe peut déclarer que percevoir, c’est se souvenir, cette perception du disciple que Jésus aimait renvoie au souvenir au sens johannique : à travers le suaire, c’est la mémoire de l’ensevelissement et de l’ensemble des signes de la Passion qui surgit dans son cœur.

Le disciple que Jésus aimait est apparu pour la première fois dans le récit johannique comme témoin du geste de Jésus désignant le traitre par une marque d’amour : « “C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat.” Il trempe la bouchée et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote. Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. » (13,26s) Ce signe de la bouchée trempée est mentionnée à trois reprises, tandis que le disciple se tient tout contre le sein de Jésus à la manière dont le Fils est dans le sein du Père.

Le disciple que Jésus aimait apparaît une deuxième fois au pied de la Croix à côté de Marie que Jésus lui demande de recevoir comme Mère. La vision est ici celle du corps transpercé laissant s’écouler le sang et l’eau : « Quand (les soldats) arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. » (19,33ss)

Le disciple que Jésus aimait apparaît une troisième fois au matin de Pâques. Il voit les linges mortuaires et le suaire. Mais ce signe visible est perçu cette fois à la lumière du corps absent. Alors, il voit et il croît. Le suaire relie le tombeau vide à la mémoire de la Passion. Dans cette mémoire, le suaire prend sens, mais donne tout son sens également au sang et à l’eau s’écoulant d’un corps, qui transmet la vie au sein même de la mort. Dans cette mémoire, le suaire prend sens, mais donne tout son sens également à la bouchée trempée comme marque de celui qui « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. » (13,1) Dans cette mémoire, non seulement le suaire prend sens, mais toute la Passion rayonne déjà de la gloire du Fils.

A nous, il n’a pas été donné de voir, mais de croire lorsque la Parole a touché notre cœur : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (14,23) Jésus est vivant dans la mémoire de sa Parole gardée avec amour. Dans cette mémoire, non seulement nous vivons dans la communion du Père et du Fils dans l’Esprit, mais nous voyons les signes de la présence agissante du Ressuscité dans notre vie. Les marques d’amour, qui nous ont fait vivre, le souvenir de nos abandons, voire de nos trahisons, les épreuves traversées, la force de la persévérance et la fidélité malgré tout au désir de vivre et d’aimer, tout s’éclaire de la présence de Celui qui nous précède toujours et nous accompagne sans cesse. Notre vie est ainsi recréée, lorsque les signes d’un passé défunt font entendre l’appel à une vie nouvelle.

Croire et voir ! Croire pour voir et connaître l’invisible plénitude du cœur habité par sa Parole. Croire pour voir et goûter la fidélité de son amour au quotidien. Croire pour voir et discerner à travers d’humbles signes sa présence infinie. Croire pour voir aujourd’hui cette présence agissante dans le cœur des femmes et des hommes qui ne le connaissent pas encore. Croire pour voir son amour vainqueur de la mort en tous ceux et celles qui ont soif de justice, de paix et de pardon. Croire pour voir et recevoir nous aussi la grâce de témoigner de l’amour de Jésus : « Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. »

Fr. Olivier, ocd - (couvent de Paris)
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