2e Dimanche de Carême, Marc 9, 2-10

Si Jésus n’avait pas pris volontairement la condition de Serviteur, la Transfiguration aurait été son lot quotidien. La gloire qui l’habitait aurait transparu chaque jour dans son humanité sainte. Mais cela, c’est de l’imagination, c’est une hypothèse, ce n’est pas de la théologie, car l’authentique théologie est un langage sur ce que Dieu est et ce que Dieu a fait « pour nous les hommes et pour notre salut ».

Or ce que Dieu a choisi, réellement, c’est l’incarnation de son Fils, dans l’humilité, dans la modestie, dans la pauvreté de Nazareth ; et la lumière éclatante de la Transfiguration, qui nous parle de gloire, d’union indicible avec le Père, nous révèle, par contraste, l’humilité du quotidien de Jésus. L’intensité de sa gloire est telle que même les vêtements de Jésus deviennent éblouissants. C’étaient pourtant des vêtements de charpentier.

C’est bien pourquoi la fête du Transfiguré est si chère à tous les cœurs contemplatifs : au-delà des prises de notre intelligence, elle déploie pour notre cœur le paradoxe inouï de la personne de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, vrai charpentier métamorphosé un instant par la gloire.

Désormais Pierre, Jacques et Jean sauront que le salut n’est qu’en Jésus, et que les temps de Moïse et d’Élie sont passés. C’est tout le sens de la méprise de Pierre :« Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes ! » Trois tentes, Pierre ? mais il y en aurait deux de trop ! Faire trois tentes, ce serait aligner Jésus sur Moïse ou Élie : Jésus serait l’un des prophètes, sans plus !

C’est pourquoi Dieu le Père écarte l’initiative brouillonne de Pierre. Tout comme Dieu a bâti pour David une maison-dynastie, sans que David ait à bâtir sa maison au Seigneur, Dieu couvre les disciples de la nuée sans qu’ils aient pu bâtir leurs tentes de mains d’hommes. Et la voix venue du ciel commente le geste de Dieu :« Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». « Celui-ci », dit la voix ; et les disciples ne voient plus que Jésus seul, comme au jour du Baptême où le vol de la colombe avait désigné Jésus seul, Jésus, le Bien-Aimé.

C’est bien ce que nous avons à vivre chaque jour dans la foi. Sortant en quelque sorte de la nuée théophanique, quand nous quittons l’oraison ou l’Eucharistie, nous ne voyons plus, dans l’ordinaire, que Jésus, « seul avec nous », en habits de charpentier. Mais chaque fois qu’il plaît à Dieu de « révéler son Fils en nous », nous percevons, à l’intime de nous-mêmes, transmise et amplifiée par l’Esprit Paraclet, la voix révélante du Père :« Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le ! » Et nous nous sentons moins seuls et plus forts en descendant de la montagne.

Écouter Jésus, le Bien-Aimé, c’est adhérer à Dieu tel qu’il nous le révèle , c’est aussi regarder le monde comme il le regarde, et nous ouvrir au salut, à la vie nouvelle, que Jésus nous offre.

Écouter Jésus, c’est garder Dieu et son amour à l’horizon de notre vie, et entrer dans son dessein, jour après jour, parmi ceux qu’il nous donne à aimer et à servir.

Écouter Jésus, c’est nous tourner résolument vers l’avenir et rester aux avant-postes de l’espérance, « puisque, en Jésus Christ, Dieu nous donne de croire en l’homme et nous rend capables de transformer le monde selon son désir »(rapport Dagens, 1033a).

C’est la même espérance qui, au-delà de nos tâches terrestres, nous fait vivre dès aujourd’hui « plus haut que ce qui meurt » (Elisabeth). Car si la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu.

Fr. Jean-Christian Lévêque

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