5e Dimanche de Pâques, Jean 15, 1-8

La vigne vit très bien sur les coteaux de Palestine, parce que toutes les conditions favorables sont remplies : un terrain très calcaire, de la pluie au printemps, du bon soleil jusqu’aux vendanges ; et l’image de la vigne et de ses sarments a dû être très parlante pour les disciples de Jésus. Quel est celui d’entre eux qui ne possédait, quelque part à la campagne, sa vigne et son figuier ?

Comme à son habitude, Jésus ne s’attarde pas aux détails, et va droit à l’essentiel de l’enseignement qu’il veut nous laisser. Il y a, nous explique‑t‑il, trois sortes de sarments.

D’abord les sarments en fagots. Ce sont d’anciens sarments, tout secs, déjà gangrenés, et qui ne laissaient plus passer la sève. Le mieux à faire est de les brûler au plus vite. Ainsi en va‑t-il dans chacune de nos vies. Nous y trouvons toujours des moments, des attitudes, des choix, qui ont été stériles pour notre foi et desséchants pour notre cœur. De temps à autre nous en faisons un tas sous le regard de Dieu, et nous le brûlons allègrement au grand feu de sa miséricorde.

Tout n’est pas sec, heureusement, dans la vigne ; et l’on repère vite une autre sorte de rameaux : les sarments à faible rendement. Ils sont encore attachés à la vigne, mais ne profitent que trop peu de la sève. Ils poussent tout en bois, tout en feuilles, tout en vrilles, et souvent, de l’extérieur, ils ont belle apparence, mais le vigneron averti ne s’y trompe pas : plus la vigne est touffue, moins elle est féconde, et au bout du compte on n’y trouvera que quelques grappes chétives et surettes.

C’est ce qui nous attend lorsque nous laissons dormir la sève de notre baptême, lorsque nous vivons trop uniquement pour le succès, pour le confort, pour un bonheur trop vite replié sur lui‑même.

« Qu’est‑ce que je fais de la sève du Christ ? de la présence du Christ en moi ? » C’est la question qu’il faut nous poser lucidement, spécialement lorsque nous nous tournons vers lui pour la prière, et lorsque nous venons le recevoir dans l’Eucharistie. Question qui se répercute, et qu’il faut répercuter, dans notre vie de famille ou de communauté : Que faisons‑nous de la sève du Christ ? - de la verdure inutile ? des vrilles qui s’accrochent un peu partout ? des grappes fluettes qui essaient de mûrir de façon anarchique, chacune dans son coin ? du bois qui, chaque automne, va rallonger la vigne sans l’enrichir ?

La solution, explique Jésus, c’est la serpette du vigneron : "Tout sarment qui produit du fruit, mon Père l’émonde, afin qu’il en produise davantage encore’’. Davantage : voilà le maître‑mot ! Si nous sommes prêts à vivre davantage, à servir davantage, à aimer davantage, nous nous offrirons de nous‑mêmes au travail de Dieu vigneron, pour qu’il purifie notre vie en dirigeant la sève là où il veut.

Comment est faite la serpette de Dieu ? Elle est coupante, tranchante, nette : c’est la parole de Jésus : « Déjà, dit Jésus aux disciples, vous êtes émondés, le Père vous a déjà émondés par la parole que je vous ai dite »

La troisième sorte de sarments, ce sont les sarments où la sève circule librement et porte des fruits sans entraves. Et Jésus décrit longuement ce sarment digne de la sève : c’est un croyant qui demeure en Jésus et en qui Jésus peut demeurer ; c’est un croyant en qui demeure et travaille la parole de Jésus ; c’est un disciple fermement ancré dans son amour et dans le commandement de l’amour.

Quand la sève est libre, les fruits sont beaux. Quand l’amour de Dieu n’est pas pas refusé, quand sa présence est accueillie, quand on n’impose plus de délais à la charité, les fruits viennent en abondance : le croyant devient vraiment disciple de Jésus, avec simplicité et enthousiasme ; le disciple peut s’enhardir dans les demandes qu’il fait à Dieu, car déjà il vit selon Dieu ; le disciple garde le cœur en paix, car même si son cœur lui fait des reproches, Dieu est plus grand que son cœur ( 1 Jn 3,20) ; l’amour de Dieu est plus fort et plus vrai que toutes les impressions qui traversent le cœur ou le souvenir. Enfin le disciple perçoit en lui‑même le travail de la sève ; il reconnaît que Dieu demeure en lui, corrigeant tout, purifiant tout, vivifiant tout ce qui veut vivre. Et cet instinct de la présence du Père, c’est l’Esprit lui‑même qui le lui donne : « Nous reconnaissons qu’il demeure en nous, parce qu’il nous a donné de son Esprit ».

Une chose est claire : si nous restons attentifs à la présence de la sève en nous, c’est bon signe ; cela prouve que notre vigne veut vivre et porter du fruit. Dès lors, si nous sentons nos sarments encombrés ou paresseux, appelons le Vigneron ; et si le Vigneron est déjà passé, attendons les fruits, humblement, patiemment : ils viendront, au soleil de Dieu.

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