7e Dimanche de Pâques, Jean 17, 11-19

On entend souvent dire : « Notre monde est dur ; notre monde est fou » ; et il est bien vrai que les problèmes liés au pouvoir de la science sur la vie, à la survie de l’homme dans son environnement naturel, aux mutations de la société et aux crises économiques, ont pris depuis les dernières décennies une dimension planétaire, et que les hommes, même lorsqu’ils acceptent de travailler ensemble, parviennent de plus en plus difficilement à maîtriser l’accélération de tous ces phénomènes.

C’est pourtant dans ce monde-là que le Christ nous veut, comme témoins de son message, ce monde où l’homme fait des merveilles et prend la mesure de sa pauvreté : « Je ne te demande pas de les retirer du monde, dit Jésus à son Père, mais de les garder du Mauvais ; [..] sanctifie-les ».

Au cœur de ce monde que Dieu aime mais qui est travaillé par les forces du refus, de la révolte et de l’athéis­me, le Père va donc nous garder et nous sanctifier, en réponse à la prière de Jésus.

Il nous garde, non pas en nous rendant étrangers à notre monde, non pas en nous isolant comme dans une bulle où nous respirerions seulement l’air de la foi et de l’espérance, mais en nous fortifiant intérieurement, par son Esprit, contre les mensonges de l’esprit du mal, contre les contagions de l’intelligence et du cœur, contre nos propres tristesses et nos découragements.

Il nous garde, Dieu notre Père, et il nous sanctifie ; il nous « consacre », c’est-à-dire qu’il nous met à part pour lui-même et nous fait entrer dès maintenant dans sa vie, dans son projet, dans sa lumière, que l’on ne voit jamais des yeux du corps mais qui est en nous certitude pour l’intelligence et joie pour le cœur.

Pour nous sanctifier ainsi, pour nous rapprocher chaque jour de son intimité, Dieu, en vrai Père, nous offre un chemin privilégié : sa parole transmise par Jésus, l’Envoyé, et sa vérité contenue tout entière en Jésus, qui est son message et sa bouche.

C’est ainsi que Jésus peut demander pour nous à son Père : « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité » ; comme s’il disait : « Fais-les passer en toi, par ta vérité que je leur apporte. Que ma parole, reçue dans la foi, les établisse en communion avec toi ! » La seule vérité qui soit digne d’être servie plus que tout, c’est le dessein de Dieu sur l’homme et sur le monde, tel qu’il nous est révélé en Jésus Christ ; la vérité dont le monde a soif, c’est que Dieu veut tout réconcilier dans son Fils et que cette promesse de paix et d’unité passe par la Pâque de Jésus.

C’est de cette certitude, en effet, que nous vivons vraiment, c’est là que nous puisons la lumière et la joie, nous qui assumons tant de tâches pour servir Dieu en nos frères. Cette amitié de Dieu, cette vie du Père dans laquelle Jésus nous introduit, est finalement plus vraie, plus intense et plus nécessaire que tous nos projets, toutes nos quêtes et toutes nos soifs. Plus nous faisons confiance au Père, et plus nous parvenons à faire de sa volonté notre nourriture ; et l’Esprit que nous appelons vient nous le redire avec force et douceur : Dieu, qui nous garde et nous sanctifie en ce monde, est la grande affaire de notre cœur, la grande urgence de la vie, pour nous-mêmes et ceux que nous aimons.

Il s’agit donc, pour ceux qui ont réellement rencontré le Fils de Dieu, de situer à leur vraie place les vérités partielles et décevantes, et de vivre résolument au compte du Royaume. Au-delà de toutes les tranquillités factices, de toutes les conquêtes de l’amour-propre, de tous les cloisonnements égoïstes, il s’agit, retrouvant le dynamisme de notre baptême, de replacer notre existence dans la vérité de Dieu, et de nous remettre en chemin avec la hâte des voyageurs, avec la joie de ceux qui ont trouvé le trésor et la perle.

Et le premier signe que nous donnons à Dieu de cette harmonie profonde avec son dessein, c’est notre union fraternelle. Toute ambition communautaire, tout désir d’influence, et même tout projet de témoignage doivent céder le pas devant l’objectif fixé par Jésus lui-même et qui gardera toujours la priorité : parvenir à l’unité parfaite. Consacrés par une même vérité, voués ensemble à Jésus-Vérité, les disciples vont être un comme sont un le Père et le Fils.

Alors notre vie, même dans le silence, deviendra une parole pour le monde. « Ainsi, dit Jésus, le monde croira que tu m’as envoyé ». Oui, le monde, à ses heures d’angoisse ou de désespoir, pourra croire que le salut est venu et qu’il demeure offert à jamais. Il commencera à deviner que Dieu nous a aimés d’un amour inimaginable, et qu’il nous aime encore comme il a aimé son propre Fils.

Chacune de nos journées deviendra un cantique nouveau au Dieu qui consacre et qui envoie. Notre long cheminement, personnel et communautaire, dans l’enthousiasme comme à travers la monotonie, l’insécurité ou la souffrance, sera illuminé par une certitude, celle-là même que Jésus est venu apporter au monde : Dieu veut nous prendre dans sa gloire.

La route montera toujours : nous le savions quand nous l’avons choisie ; mais déjà, sur la montagne, Jésus nous fait signe.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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