Demeurez dans mon amour… (Homélie 6° Dim. Pâques)

Textes liturgiques (année B) : Ac 10, 25-26.34-35.44-48 ; Ps 97 (98) ; 1 Jn 4, 7-10 ;Jn 15, 9-17

Durant le temps pascal la liturgie nous fait lire et relire les chapitres 13 à 17 de l’évangile selon st Jean, et spécialement le chapitre 15 que nous venons de réentendre. Ils nous font revenir à un trésor inépuisable. Ils ont une tonalité particulière qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’évangile. Car ils sont comme le testament de Jésus, livré par celui-ci juste avant qu’il n’entre dans sa passion et sa mort, pour parler de ce qui sera après sa mort : celui qui parle est déjà le Jésus glorifié par anticipation. Dans une vie humaine, quand approche l’heure de la fin, le vivant se projette dans ce qui sera après sa mort et il parle aux siens de la relation qu’il aura avec eux et de ce qu’il fera pour eux après sa mort. Paroles prononcées à mi-voix, parfois seulement chuchotés, mais chargées d’intensité. On les écoute avec une vive attention, pour ne rien en perdre, et on les accueille dans la conscience qu’on ne saisit pas pleinement ce qu’elles veulent signifier, on les médite. C’est ce que nous allons faire.

C’est ainsi que Jésus a déclaré au début du chapitre 15 : je suis la vigne et vous êtes les sarments, ouvrant au mystère de la présence intime qui nous relie à lui pour aboutir à un appel : demeurez en moi, comme moi en vous. On pense à ce qui a lieu dans les relations humaines, la présence réciproque à laquelle introduit tout amour vrai, toute véritable amitié : la personne aimée est présente en celle qui l’aime et réciproquement, celle qui aime est présente en celle qu’elle aime. Ce mystère humain si beau prend ici une tout autre dimension car celui qui parle est déjà le Christ glorifié, tel qu’il est aujourd’hui.

Poursuivant l’image de la vigne Jésus a ajouté : ce qui fait la gloire de mon père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit. De quel fruit s’agit-il ? Quel est-il donc pour avoir tant de prix aux yeux du Père ?

La parole de Jésus est alors traversée par un éclair qui projette une lumière qui vient de très loin, d’au-delà du temps. C’est l’éclair de l’amour infini et éternel du Père pour son Fils. « Comme le Père m’a aimé… » Comment Jésus est-il aimé par le Père ? De toute éternité, dès avant la création du temps, et il est aimé à l’infini, d’un amour qui ne connait pas de limites. Cette réalité prodigieuse est un mystère proprement insondable, nous n’aurons pas trop de toute l’éternité pour l’explorer.

Pour le moment, cette parole est comme un phare dont la lumière traverse la nuit de la vie présente et nous rejoint ce matin, en cette chapelle. Comme le Père m’a aimé, ainsi, à l’infini, depuis la nuit d’avant le temps, moi aussi, je vous ai aimés… et je vous aime. Tel est le testament de Jésus qui nous appelle à adorer ce mystère d’amour qui unit le Père et le Fils et à nous reconnaitre aimés au-delà de ce que nous pouvons imaginer ou concevoir. On ne discute pas avec les dernières paroles d’une personne, avec celles de Jésus, on a mieux à faire, à les accueillir avec tout ce dont elles sont porteuses de vie. Et cela n’est pas l’affaire d’un instant, les paroles délivrées par quelqu’un qui dit nous aimer et qui nous aime de fait demandent à être gardées, retenues en notre intérieur, pour demeurer en elles et nous laisser habiter par elles : «  Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour ». Le Christ ressuscité nous appelle à ce que nuit et jour, en toutes circonstances, tout l’espace de notre vie soit placé dans le rayonnement de son amour. Demeurez dans mon amour. *

Mais comment faire Seigneur ? Tu sais notre fragilité, notre instabilité, notre manque de persévérance. Comment demeurer ainsi en toi alors que nous agissons souvent en dehors de toi ? Alors tu réponds : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour » et il précise ce qu’il met sous le mot commandement : « Mon commandement, le voici : aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Nous risquons fort d’être tentés par une pensée qui revient souvent lorsque nous écoutons les commandements du Seigneur. Il nous demande l’impossible. Comment nous qui expérimentons quotidiennement les faiblesses de notre amour pour le prochain pourrions nous aimer comme le Christ nous a aimés de la manière qu’il a lui-même précisée. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Ce qu’il a fait à la perfection, totalement.

Ici il nous faut réentendre ce que le Christ a commencé par dire : « Demeurez en moi comme je demeure en vous ». Cet amour dont il parle, qui a sa source dans le Père nous rejoint dans le Christ qui demeure en nous. Par lui présent en nous, la source de l’amour coule en nous. Oui, nous sommes radicalement incapables par nous-mêmes de nous aimer les uns les autres comme lui-même nous a aimés. Mais si le Christ a l’audace de nous commander d’aimer ainsi, c’est parce qu’il nous offre cet amour, il nous le donne. A nous de le recevoir. L’amour, le véritable amour jusqu’à donner sa vie pour ceux qu’on aime, se reçoit du Christ, en nous unissant à lui qui demeure en nous pour aimer en nous.

Où cela se fera-t-il et comment ? C’est offert toujours et partout. Mais vous le savez car nous en avons tous plus ou moins l’expérience, Il est un lieu privilégié pour cet échange vital. C’est l’Eucharistie.

Nous y rejoignons le Christ dans son mystère pascal, offrant sa vie au Père, et nous appelant à le suivre, à donner notre vie par amour du Père et des hommes. Et ce même lieu est aussi celui où il s’offre par l’Eucharistie à venir en nous, à venir aimer en nous. L’amour, le véritable amour coule de la croix de Jésus. L’Eucharistie est le lieu privilégié pour nous renouveler dans cet amour qui nous est offert et auquel nous sommes appelés pour en vivre au quotidien. « Tu aimeras le seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute , forces… Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Nous nous sommes demandés : quel est le fruit de la vigne où nous vivons dans une communion intime avec le Christ ressuscité. Ce fruit qui fait la gloire du Père, c’est l’amour.

Mes amis, qu’il est grand le don de Dieu. En ce temps préparatoire à la Pentecôte, demandons à l’Esprit saint de nous renouveler dans la foi pour oser croire à la Parole de Dieu et pour nous apprendre à vivre heure avec celui qui habite notre cœur, le Christ notre Seigneur et notre frère, comme il se dit lui-même.

fr. Dominique Sterckx, ocd - (Couvent de Paris)
« Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.
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