Homélie d’Avon : 29e Dimanche T.O.

L’injustice, voilà l’intolérable. L’enfant, dès l’éveil de sa conscience y est d’une extrême sensibilité, car l’injustice est une négation de l’autre. C’est pourquoi toute colère, fut-ce celle d’un enfant, d’un innocent, d’un fou, doit être entendue, prise au sérieux, car elle exprime ce sentiment de ne pas être respecté. S’il y a donc une chose qu’il est légitime d’exiger, c’est la justice. Aussi, l’Evangile en fait-il le motif essentiel de la prière de demande. Bien souvent des chrétiens s’interrogent sur le sens d’une telle prière.

Qu’est-ce qu’il faut demander ? Que signifie être exaucé par Dieu alors que tant d’injustices demeurent malgré d’instantes prières ? Pourquoi Dieu n’intervient-il pas alors que tant de cris de détresses se heurtent à son silence ? Dans le passage précédent celui-ci, Jésus vient d’annoncer que les jours du Fils de l’homme seraient ceux de la justice finale. Qui voudra alors sauver sa vie la perdra, mais qui acceptera de la perdre, de s’abandonner au juste jugement de Dieu, celui-là la sauvera ! Dans cette perspective de la fin des temps, notre parabole invite à prier Dieu sans relâche comme le ferait une pauvre veuve livrée à un juge sans scrupule. Le parallèle est provoquant. Dieu serait-il un juge inique ?

En fait, l’application de la parabole à la prière de demande transforme la problématique par une omission de taille qui change la nature du procès : l’adversaire de la femme n’est plus mentionné. L’adversaire, dans la Bible, c’est avant tout l’accusateur des humains. Le monde est en procès parce qu’il existe un adversaire, un accusateur infatigable, mais les derniers temps sont déjà commencés et le grand procès a pris un tour décisif avec la personne de Jésus. Pourtant celui-ci s’interroge : « Mais le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Ce procès est lié en effet à la foi et se déroule dans la conscience de tout croyant. En chacun de nous l’accusateur est à l’œuvre, nous accusant nous-mêmes ou nous portant à accuser notre prochain. Le drame de l’humanité, c’est l’accusation. Jésus est venu nous libérer de toute accusation en nous révélant que Dieu est un Père dont l’amour nous libère. En conséquence, celui qui le fuit par peur du jugement perd sa vie, car il manque de confiance envers la source de toute vie. La seule attitude juste devant Dieu est d’affronter le jugement en mettant toute notre confiance en son Amour pour nous. Il faut pour cela être en relation avec lui et prier sans relâche jusqu’à ce que la confiance l’emporte sur la méfiance.

Cela peut demander du temps, car nous sommes inexorablement enclins à condamner les autres, Dieu ou nous-mêmes selon l’humeur du moment. Mais lorsque nous renonçons à tout jugement sur qui que ce soit, lorsque nous croyons que l’amour peut tout sauver, alors la paix de Jésus nous envahit et comme par miracle l’adversaire disparaît. Ce n’était qu’une chimère, moins qu’un souffle de vent : il n’a aucun pouvoir sur celui ou celle qui met toute sa confiance en Dieu. L’amour seul est réel, un amour destiné à tous sans limite et sans jugement pour quiconque en accepte l’incompréhensible gratuité.

Prier, c’est ouvrir son cœur à cette confiance là. Croyons-nous à l’amour capable d’anéantir toute accusation ? Une telle foi existera-t-elle sur terre quand le Seigneur viendra ? A-t-elle seulement commencé d’éclairer le monde ? Mais pour celui ou celle qui croit, le jugement s’est déjà accompli, car avec Dieu, cela ne tarde pas. Il fait justice tout de suite. Le procès s’achève faute d’accusateur. Il a disparu. Il a définitivement sombré dans la confiance qui nous unit à Dieu pour la vie éternelle. Seul demeure l’amour qui ne juge pas, car il est pure miséricorde. Mais s’il y a encore dans notre cœur un accusateur qui désespère notre conscience ou entretient notre rancune envers autrui, alors frères et sœurs nous sommes des mal croyants. Nous n’avons pas encore suffisamment reçu le message de Jésus.

Il nous faut donc prier sans relâche ce Dieu que nous soupçonnons d’être un juge inique. Il nous faut prier avec acharnement, non pour changer Dieu, mais pour découvrir en lui notre Père. En Jésus, la confiance absolue d’un homme envers le Père a su traverser l’injustice, la méfiance et la peur. Dans la foi au Christ ressuscité, nous trouvons alors nous aussi la paix que Dieu nous offre en son Fils. Nous recevons l’Esprit Saint consolateur et défenseur de l’homme.

fr. Olivier Rousseau, o.c.d.

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