Homélie d’Avon : Pâques 2007

« Pourquoi chercher parmi les morts celui qui est vivant ? » L’annonce pascale de la Résurrection résonne comme une question et claque comme un reproche. « Il n’est pas ici, il est ressuscité. » C’est une évidence. Elle oblige à baisser les yeux et plonge les femmes dans la crainte. Jésus, en chemin vers le Calvaire, avait reproché aux femmes de Jérusalem de pleurer sur lui plutôt que sur elles. Deux hommes de lumière interpellent à présent d’autres femmes sur le sens de leur présence auprès de ce tombeau. Que font-elles ici ? : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée au sujet de sa Passion, de sa mort et de son exaltation ! » Après le traumatisme de la Croix, voici maintenant celui de la Résurrection. Il n’est pas moindre, tant il plonge dans un monde sans repère, celui de la Présence insaisissable, de la Vie incontrôlable, du témoignage impossible.

Comment assumer une absence qui fait sens, un vide porteur de plénitude, une impuissance qui se révèle une naissance ? Il n’y a pas de réponse, car cette expérience ne correspond à rien de ce que ces femmes peuvent avoir connu ou éprouvé jusqu’ici. La Résurrection du Christ ne s’inscrit pas en effet dans un processus de maturation humaine. Elle n’est donc pas l’aboutissement de l’œuvre de Jésus, mais commencement absolu et Nouvelle Création. Elle est victoire divine sur la mort, sur le péché, sur le néant. C’est pourquoi nul disciple ne pouvait accompagner le Fils sur ce chemin qu’il s’agisse de sa condamnation infamante ou de son exaltation divine. Ayant ainsi perdu toute assurance, les témoins sont saisis de crainte, de cette crainte qui n’est pas de l’ordre de la peur ou de l’effroi, mais de ce qui est trop grand et laisse désemparé au regard de la faille qui abolit le temps : le tombeau est vide, vide d’un vide qui creuse cependant en nous la plénitude.

Mais si cela nous dépasse à ce point, qu’est-ce qui dépend de nous ? Face à l’absolue nouveauté, nulle expérience de vie ne peut nous être de quelque secours. Il faut partir sans savoir et prendre le risque de porter un message qui sera reçu comme un doux délire dont il vaut mieux sourire. Comment en être les témoins, alors que nous-mêmes sommes dépassés ? Les compagnons les plus proches de Jésus n’ont-ils pas eux-mêmes résisté à cette annonce ? Et pourtant, les Saintes femmes ont couru vers les Apôtres et Pierre vers le tombeau et les disciples sur la route des Nations ! Tel est le paradoxe de l’annonce pascale : l’assurance qu’elle fait naître est fondée sur un trouble, sur la conscience de notre impuissance face à la Vie du Ressuscité, impuissance tout aussi profonde que celle éprouvée face à la Passion et à la mort de l’Innocent. L’incroyance du monde montre combien cela ne va pas en effet de soi, et combien cette certitude intérieure est don de Dieu

Comment en effet se relever seul des traumatismes de la vie ou ne pas s’enliser dans la réussite mondaine ? Il nous a fallu un jour éprouver le caractère inexorable de l’existence ou être saisis par la profondeur de nos aveuglements pour nous ouvrir à la confiance nouvelle. Bien heureux séismes qui brisent notre autarcie et laissent monter du plus profond comme une prière ce cri de la foi : « Je crois Seigneur en ta souffrance et en ta mort, en ton amour et en ta vie auprès du Père et avec nous. » Je n’y crois pas de manière abstraite, mais parce que tu m’as donné de renaître de la mort et de la souffrance, du péché et du doute. A la lumière de ton appel, tu m’as mis en chemin pour te reconnaître vivant au sein de mes limites, de mes fautes, de mes vides jusqu’à recevoir en ces lieux une liberté nouvelle. Comment cela s’est-il fait ? Nul ne peut véritablement le dire, car cette naissance à la Vie de Dieu précède d’éternité notre origine et excède tout avenir, et pourtant je crois, ou plutôt il m’est donné de consentir librement à l’incertitude de la foi, au tremblement de la présence, à la fragilité du témoignage comme à une source neuve d’où jaillit aujourd’hui une relation divine. J’éprouve cette naissance dans la confiance en toi en dépit de tout, car hors de cette lumière plus rien ne trouve de sens.

Mais sommes-nous cependant ainsi suspendus à l’incompréhensible dans l’instant de la foi ? « Rappelez-vous, faites mémoire des passages qui vous ont conduit de la mort à la vie, de la faute au pardon, de la nuit à la lumière ! » « Rappelez-vous ! » C’est ce que nous avons fait en proclamant ces grands textes de la Première Alliance ; c’est ce que nous avons à faire en chacune de nos vies pour nous souvenir des passages de Dieu, pour faire mémoire de sa fidélité, du salut né de la confiance au sein même de l’angoisse, du bonheur jailli de notre création au sein même de la gratuité. Oui, dans cette mémoire toujours renouvelée par l’inattendu de l’existence, je peux risquer ma liberté et choisir la vie en plénitude, celle que Dieu veut pour moi et pour tout être humain en son Fils. Comment me replier sur quelque déception, tristesse ou colère que ce soit ? Christ est ressuscité et m’appelle à choisir l’inconnu de Dieu : tout est passage vers le Père pour qui entend cette Parole qu’il nous adresse en la mort et la résurrection de son Fils. Oui, je n’ai rien à chercher parmi les morts, car en toute absence je peux laisser éclore la Vie. Oui, je n’ai rien à conserver de mes péchés, car en tout égarement je peux laisser venir l’amour. Oui, je n’ai rien à redouter de mes nuits, car en l’absence même de sens je peux choisir de croire.

En cette aube pascale, Frères et Sœurs, il nous est fait le don de la relation heureuse, de la communion indestructible, de la liberté gratuitement offerte. « Il n’est pas ici, Il est ressuscité » pour entrer avec nous dans cette relation autre, qui fait sourdre en toute humanité l’éclat de sa présence. En cette aube pascale, liberté nous est ainsi donnée d’aimer au sein de nos limites, de pardonner du fond de nos blessures, d’espérer plus loin que nos attentes. Puissions-nous, Frères et Sœurs, en proclamant la foi de notre baptême, consentir sans réserve à notre commencement en Christ, laisser naître la joie de notre vie en Dieu.

Fr. Olivier Rousseau, ocd

Revenir en haut