« J’étais dans le ciel et je n’ai pas vu Dieu » (Homélie Ascension)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Ac 1, 1-11 ; Ps 46 (47) ; Ep 4, 1-13 ; Mc 16, 15-20

« J’étais dans le ciel et j’ai bien regardé partout : je n’ai pas vu Dieu. » Vous connaissez peut-être ces paroles attribuées par Nikita Khrouchtchev à Youri Gagarine, 1er homme à entrer dans l’espace en 1961. Elles sont restées dans les mémoires comme un moment de gloire de la propagande soviétique. Car si Dieu n’est pas au ciel, où se cache-t-il ? En effet la Bible, comme les civilisations anciennes, situe Dieu du côté du ciel. On peut le vérifier dans le Nouveau Testament avec saint Matthieu qui préfère l’expression synonyme ‘Royaume des cieux’ à celle de ‘Royaume de Dieu’. Et nous-mêmes prions : « Notre Père qui es aux cieux. » Aussi, l’Ascension du Seigneur Jésus que nous célébrons aujourd’hui est bien la mémoire du retour de Jésus vers le Père dans les cieux. Mais, comme Benoît XVI le rappelait dans une homélie (7 mai 2005), « l’Ascension du Christ n’est pas un voyage dans l’espace. » Rien d’étonnant donc que les cosmonautes ne fassent pas nécessairement une expérience mystique lors de leurs explorations spatiales… Essayons donc de scruter le mystère de l’Ascension du Seigneur à travers trois mots : achèvement, accès et envoi.

L’Ascension de Jésus, c’est d’abord l’achèvement de la trajectoire du Fils de Dieu. Et elle est exprimée en termes spatiaux dans l’Ecriture : Lui qui était de condition divine s’est abaissé pour prendre notre condition d’esclave, et ce jusqu’à la mort (Ph 2,5-11). Le Verbe qui était auprès de Dieu a planté sa tente parmi nous. La vie de Jésus correspond à une descente divine, à un abaissement amoureux du lieu de Dieu dans les cieux, vers les régions basses de la terre. Mais cet abaissement ne s’arrête pas au partage de la condition humaine. Il descend plus bas. C’est ce dont nous faisons mémoire lors du samedi saint et que nous exprimons dans le symbole des apôtres : « il est descendu aux enfers », c’est-à-dire dans les zones les plus obscures de notre humanité, les espaces les plus éloignés de Dieu où la mort règne. Jésus a donc vécu la descente absolue, du plus haut vers le plus bas. C’est une véritable plongée du point le plus lumineux au plus opaque du vendredi saint.

Mais évidemment, cette plongée n’est pas la dernière étape ; elle laisse place à une remontée, à une exaltation que rappelle l’épître aux Ephésiens en commentant le verset 19 du psaume 67 : « Que veut dire : Il est monté ? – Cela veut dire qu’il était d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre. Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. » Jésus a été élevé, enlevé au plus haut des cieux, auprès de Dieu. Le symbole des apôtres continue ainsi : il est « descendu aux enfers (…), est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ». Le Christ a reçu de nouveau sa place divine pour devenir Roi de l’univers. Jésus a ainsi parcouru toute la verticalité de l’univers, du plus haut au plus bas puis du plus profond vers le plus élevé. Désormais, nous pouvons dire que sa présence remplit tout l’univers. Tout l’espace a été visité et traversé par Dieu en Jésus-Christ. Il n’y a plus de terre abandonnée et inconnue de Dieu, plus d’expérience humaine qui ne soit en même temps précédée du passage de Jésus et donc lieu de rencontre avec le Fils de Dieu. Voilà l’achèvement du projet de Dieu : faire que tout soit habité de sa présence parce que toute expérience est connue du Christ en son humanité. Les cieux se sont déchirés et demeurent ouverts. Mieux, désormais notre humanité siège auprès de Dieu : car le Fils ne revient pas indemne de son aventure humaine. Ce n’est pas un retour à la case départ ! Il porte désormais un corps, une chair glorifiée, signe de notre humanité promise à la Résurrection.

Nous arrivons ainsi au deuxième aspect, celui de l’accès à Dieu. Le mystère de l’Incarnation, dans tout son déploiement, est une nouveauté absolue qui dépasse la frontière infranchissable entre le Créateur et la créature, entre le ciel et la terre. Dans l’Ascension, nous célébrons cette réconciliation inouïe obtenue par le Christ. Désormais, nous avons libre accès à Dieu par Jésus. Il est cette nouvelle échelle de Jacob qui nous permet de communiquer avec Dieu et de nous laisser rejoindre par lui. Ce n’est pas quelque chose d’abstrait puisque le corps glorieux du Christ est entré dans l’éternité. Quelque chose de notre humanité est passé en Dieu et c’est pour nous un motif d’espérance. Jésus est le premier-né d’entre les morts, le premier homme à être entré dans le sein du Père. Il annonce ainsi nos résurrections futures et nous en avons déjà le témoignage dans le mystère de l’Assomption de la Vierge Marie. Nos corps sont promis à cette vie divine à la suite de Jésus et de Marie. L’épître aux Ephésiens souligne cette espérance : Dieu agit « pour que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude. » Le corps du Christ est une réalité collective : nous sommes membres de ce corps dont Jésus est la tête, le chef. La tête est déjà dans les cieux tandis que le reste du corps demeure encore sur la terre. Voilà l’image : par notre foi en Jésus, nous avons la tête au ciel tandis que nos pieds doivent restés sur terre.

Pourtant, il peut nous arriver de garder un peu trop la tête en l’air et de planer au-dessus de la réalité… C’est alors que ce sont paradoxalement les anges qui nous ramènent sur terre : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Les apôtres le comprirent vite, qui « s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. » La célébration de l’Ascension ne doit pas nous paralyser de tristesse ou nous faire rêver mais nous envoyer en mission. Tout est achevé mais aussi tout commence : nous sommes constitués témoins sur cette terre. Il est vrai cependant que l’accomplissement véritable advient avec le don de l’Esprit à la Pentecôte ; car que ferions-nous sans l’Esprit ? Jésus ne nous laisse pas orphelins mais nous envoie du haut des cieux la force de l’Esprit pour que notre témoignage soit crédible. C’est de cette façon que le Seigneur travaille avec nous dans la mission. Il n’a pas disparu dans l’espace. Il est désormais présent autrement à nos côtés et au plus intime. A nous d’apprendre à vivre dans la foi de ce nouveau type de relation.

Achèvement, accès et mission : le mystère de l’Ascension nous fait mieux saisir le projet de Dieu de venir partager notre existence, de vivre une relation de proximité avec nous et de nous rendre nous-mêmes témoins de ce projet d’amour. Nous sommes donc envoyés à notre tour, pas dans l’espace comme Gagarine, mais plutôt dans nos espaces de vie, dans l’humble quotidien de nos existences. C’est là que nous devons attester de la présence invisible de Celui qui nous a tant aimés. Que le Seigneur renouvelle donc en nous l’ardeur missionnaire. Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (Couvent d’Avon)
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