Mercredi des Cendres

Nous avons fait un grand pas, avec la force de Dieu, lorsque nous avons accepté la première conversion qui a décidé de notre vie. Puis, d’effort en effort, de lumière en lumière, de grâce en grâce, nos pas nous ont rapprochés de la Montagne du Carmel. Mais suffit-il de vivre sur cette Montagne pour rester fidèles à l’élan de notre conversion ? suffit-il d’avoir mis la prière au centre de notre vie pour rester « éveillés dans notre foi » ? Et les sujétions quotidiennes de la vie en communauté suffisent-elles, les années passant, à raviver en nous la soif qui nous a mis en route ?

« Je suis venu, disait Jésus, pour que mes brebis aient la vie, la vie en abondance ». Or nous prenons conscience chaque année, apercevant comme de loin la lumière de Pâques, que notre marche s’est appesantie, que notre cœur s’est trouvé des trésors factices, que nos passions nous ont caché la Passion de Jésus.

Et nous accueillons chaque année comme une chance et une grâce les quarante jours de désert où Jésus va nous parler au cœur. Nous laissons vivre en nous le désir de revenir à Dieu comme à la Source, pour entrer dans sa tendresse en recevant sa miséricorde. Une fois décapées les illusions que nous pouvions nourrir sur l’authenticité de notre amour, sur le pouvoir réel de notre liberté, nous acceptons comme une délivrance l’appel de saint Paul :« Laissez-vous réconcilier avec Dieu ».

Pour devenir en Jésus Christ une créature nouvelle, nous laissons l’Esprit emporter nos œuvres mortes et nous rejoignons le dessein de Dieu qui, dans le Christ, constamment, se réconcilie le monde. Et cette grâce d’une nouvelle paix avec Dieu, d’un accord profond avec sa visée d’amour, nous l’accueillons à la fois comme le don fait à chacune et comme la mission confiée à toutes, car le même Père qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, nous confie, pour le monde et pour la communauté, la diaconie et la parole de la réconciliation (2 Co 5,18-19).

Nous voici donc de nouveau, avec notre confiance comme seule richesse, relancés par Jésus sur la route du désert.

Pour ce cheminement de pauvres, Jésus nous laisse trois consignes, celles-là mêmes que l’Évangile d’aujourd’hui a isolées dans le Discours sur la montagne : liberté, profondeur, allégresse.

Liberté, car notre main gauche doit ignorer ce que donne la main droite, et nous n’avons ni à mesurer notre générosité, ni à guetter en nous les signes de la réussite spirituelle.

Profondeur, car si notre carême a besoin de signes communautaires, et si nous-mêmes avons à symboliser personnellement notre désir de conversion et de liberté, l’essentiel du labour spirituel et du retournement du cœur se fera dans le secret que pénètre seul le regard de Dieu.

Légèreté, enfin, car l’ascèse, selon Jésus, doit assouplir la marche et rajeunir tout l’être ; l’ascèse est fraîche et parfumée, parce qu’elle prépare une rencontre et anticipe la joie. « Toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête » … ce sera autant de fait pour l’ambiance fraternelle, « et lave-toi le visage » … pour présenter aux autres le meilleur de toi-même.

Une brise de fraîcheur sur le monde, la bonne odeur du Christ dans la communauté : quel programme de carême !

Une entrée dans le secret du Père, quelle chance à saisir pour réentendre le premier appel !

C’est maintenant le moment favorable.

C’est maintenant le jour du salut !

Fr. Jean-Christian Lévêque

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