9e Dimanche TO -A-

« Seigneur, Seigneur ! »

« Seigneur, Seigneur ! » Ce double appel revient deux fois en deux versets dans l’enseignement de Jésus que l’Église nous donne à méditer aujourd’hui.

La première fois, le sens est limpide : durant leur vie, trop d’hommes, trop de croyants, disent et ne font pas. Ils disent : « Seigneur, Seigneur », réaffirmant leur sentiment d’appartenir à Dieu ; mais ils ne font pas « la vo­lonté du Père qui est aux cieux ». Ils ont à la bouche les mots de la prière et de l’amitié avec Dieu, mais les œu­vres ne suivent pas : ils n’entrent pas avec leurs mains, avec le temps et le sang de leur vie, dans le projet de Dieu. Et nous sommes toujours un peu de ces hommes-là.

Quand revient pour la deuxième fois l’invocation : « Seigneur, Seigneur », la scène a changé du tout au tout, et le cadre est celui de la grande rencontre : « Beaucoup me diront en ce jour-là : »Seigneur, Seigneur".

Ce Jour-là, que Dieu seul connaît, sera pour nous le Jour de vérité, c’est-à-dire de la totale transparence au regard de Dieu. Et nous voudrons nous appuyer sur des réussites, gonfler la gerbe de nos œuvres :

« Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait des miracles ? » En ton Nom, c’est-à-dire en nous référant à toi, à ce que tu es, à ce que tu fais, à ce que tu dis pour le salut des hommes.

« Alors, dit Jésus, je leur déclarerai : Je ne vous ai jamais connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité ! » Étrange sévérité …

Ainsi un croyant pourrait faire des miracles, sans être pour autant l’ami de Dieu ? Un croyant pourrait prophétiser, c’est-à-dire lire l’aujourd’hui du peuple de Dieu ou d’une communauté, sans être lui-même dans la vérité devant Dieu ? Un croyant pourrait en libérer d’autres des forces du mal sans vivre lui-même devant Dieu sa liberté de fils ?

À la limite, oui. À la limite il peut y avoir divorce entre l’œuvre et le cœur profond, entre les réalisations visibles et la soumis­sion filiale. Après tout, prophétiser, chasser les démons, opérer des miracles, ce n’est pas œuvre humaine, c’est le travail de Dieu, et Dieu peut le réaliser par la voix, par les mains ou par l’œuvre d’un homme qui en est indigne ; d’authentiques charismes peuvent être mis en œuvre par des pécheurs. Bien évidemment, ce sont des cas limites, et Jésus insiste volontairement sur le paradoxe : « Je ne vous ai jamais connus ; écartez-vous de moi ! »

Jésus, visiblement, veut nous réveiller, à tout le moins nous empêcher de dormir. Il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur », quand on ne fait pas aujourd’hui, « rien que pour aujourd’hui », ce que Dieu indique comme sa volonté. Il ne suffira pas de dire « Seigneur, Seigneur », alors que par nos œuvres, même réussies, même mesurables, même estimables, nous aurons recherché non pas la gloire de Dieu , mais « la gloire qui vient des hommes ».

Toutefois cette vigilance que Jésus attend de nous est un signe de son amour pour nous. Et c’est une cons­tante dans l’Évangile : Jésus ne se résigne jamais à nous voir hésiter, louvoyer, calculer. Il sait bien quel poids et quel handicap représentent pour nous les épreuves de santé, l’usure du grand âge, les déracinements et toutes les formes de l’Exode ; mais il nous veut vaillants, décidés, et donnés sans retour.

Pour adhérer vraiment au Seigneur qui nous sauve, il nous faut reconnaître combien notre amour est pré­caire. Pour entrer dans le règne de Dieu, il faut mettre nos pas dans les pas du Fils qui seul a pu dire et faire ; il faut compter sur sa lumière, sur sa force, sur son désir de nous voir près de lui, et lui redire souvent, comme les saints, avec l’humilité et la confiance des vrais amis, avec tout notre amour, audacieux et fragile :

« Seigneur, Seigneur, ne permets pas que je sois séparé de toi ».

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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