L’Eucharistie au-delà du confinement (jeudi saint 2020)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques : Ex 12, 1-14 ; Ps 115 (116) ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15

Cette messe du Jeudi Saint, en mémoire de la Cène du Seigneur, prend aujourd’hui une coloration particulière. En ces jours de confinement notre rassemblement prend une autre force ; une saveur dont le gout semble étrange et pose questions. Nos chapelles, nos églises, nos cathédrales sont vides. Dieu ne s’est pas absenté de ses demeures mais nos frères et sœurs chrétiens ne peuvent rejoindre ces lieux de célébration. Voilà une privation forte, insoutenable pour certains. Fait rarissime que l’histoire des hommes ne pensait plus connaître mais qui nous rejoint ce soir. Nous qui croyons dominer beaucoup de choses, arrogants et fiers de notre capacité à contrôler chaque jour davantage le monde, nous sommes rendus à cette limitation, encore surpris par la radicalité et la force de cette impossibilité à vivre des rassemblements à cause du virus. Et cela va se reproduire tout au long de Triduum pascal.

Nous mesurons l’absence des uns et des autres, absence imposée et nécessaire par une décision nationale et même internationale. L’image du Pape François le vendredi 27 mars en soirée sur le parvis de St Pierre, avec pour seule compagnie la pluie et bénissant la ville de Rome et le monde entier avec le Saint Sacrement, restera aussi gravée dans les mémoires. Présence faible, fragile, mais le Pasteur de l’Église universelle est au milieu de ses frères et sœurs.

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Mais il ne peut y avoir de confinement pour l’Eucharistie. Même dans la solitude totale du prêtre qui célèbre, l’Eucharistie ouvre toujours sur l’Eglise, le monde, sur toute assemblée de croyants aussi faible ou forte soit-elle. Elle nous ouvre nous-mêmes parce qu’en cette célébration résonne l’interpellation de Jésus : « Vous ferez cela en mémoire de moi », en mémoire de mon amour pour vous. La plus modeste Eucharistie, ou celle déployée dans les grands sanctuaires, l’une et l’autre portent la même force, la même Présence du Christ. Chaque Eucharistie célèbre la Vie, la Mort et la Résurrection de Jésus, et annonce son retour.

A l’Eucharistie nous portons sur l’autel, avec le pain et le vin - fruits de la terre et du travail des hommes - l’humanité entière. Nous traversons alors, et ce soir plus particulièrement, les couloirs des hôpitaux, des salles de réanimation. Nous allons à la rencontre des personnes âgées marquées par la solitude dans les EHPAD ou chez elles. Nous osons frapper à la porte des cellules des prisons. Nous entrons dans les centres de rétention pour visiter ces hommes et femmes exilés de leurs pays et si souvent abandonnés à leur sort d’errance. Nous rejoignons l’humanité blessée, quel que soit son nom. Nous visitons aussi celles et ceux qui sont assis autour de la table familiale, se demandant combien de temps cela va durer, mais trouvant dans ce confinement une occasion particulière pour se retrouver et mieux s’écouter… avec parfois des tensions.

Et Jésus – Pain de Dieu - s’offre pour toute cette humanité qu’Il a rencontrée hier en se faisant homme parmi les hommes, qu’Il rencontre aujourd’hui encore. Il prend l’initiative de rassembler ses disciples en cette fête de la pâque juive, rappel du passage en Terre Promise, rappel d’une libération. Mais « au cours du repas » nous dit l’évangéliste St Jean, Jésus va instaurer un autre signe, signe réservé à l’esclave : celui de laver les pieds de ses disciples. Ce geste va devenir la trace de l’amour donné. Lui, le Seigneur et la Maître, enseigne une dernière fois à ses amis que l’amour du prochain est lié à cette célébration du repas pascal. On ne peut participer à l’Eucharistie et rester indifférent aux autres. Ainsi le service du Frère et de la Sœur et la participation à l’Eucharistie sont intimement liés, et pour toujours.

Toute Eucharistie a ce ressort de nous ouvrir à Dieu et aux hommes. A travers cette épreuve de ne pas pouvoir nous rassembler pour prier ensemble, Dieu développe sa Présence et renouvelle notre fraternité. Aussi j’aimerais crier à tous ceux qui se sentent privés de cette nourriture divine : « Ne soyez pas attristés, notre communion, à nous qui pouvons vivre cette Eucharistie du Jeudi Saint, est aussi pour vous. Dieu ne peut que développer sa présence d’une manière ou d’une autre, auprès de chacun de vous. »

Malades, médecins, infirmières, personnels soignants en EHPAD, vous qui êtes en peine depuis la mort de l’un de vos proches, commerçants qui poursuivez votre métier non sans risques, tous celles et ceux qui veillez sur nous, cette eucharistie est pour vous. Prêtres célébrant le mystère de la Présence de Dieu depuis votre ordination et en ce jour privé de peuple, vous concélébrez avec nous. Vous vous rassemblez en familles devant un écran pour suivre la messe de la Cène du Seigneur parce que privés d’Eucharistie depuis trop longtemps, vous êtes tous avec nous ce soir et cette Eucharistie est offerte pour vous et avec vous. « Heureux les invités au repas du Seigneur. » Jamais notre petite chapelle des Carmes à Avon n’a été aussi remplie ce soir de tous ces visages. Nourris par la Parole de Dieu, allons maintenant faire mémoire ensemble de ce don de l’amour : Dieu se fait nourriture pour que nous devenions nous aussi un pain béni pour la vie de nos frères et sœurs, que nous devenions toujours plus un signe de la présence de Dieu en son Fils Jésus.

Tous ensemble, rendons grâce pour ce don de l’Amour, ce don de l’Eucharistie, mystère inépuisable et à jamais présent.

Fr. Didier-Joseph, ocd - (couvent d’Avon)
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