Dans la fidélité et l’unité (7e dim. Temps Pascal 16/05/21)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Ac 1, 15-17.20a.20c-26 ; Ps 102 (103) ; 1 Jn 4, 11-16 ; Jn 17, 11b-19

En ce dernier dimanche du Temps pascal, l’Église nous donne de voir Jésus en prière, s’adressant au Père. Les évangélistes nous disent assez souvent de Jésus qu’il se retirait dans la solitude, ou dans la montagne pour prier. Ici, Jésus prie « ouvertement ». En effet, les prières explicites du Christ, que nous trouvons dans les évangiles sont plutôt rares. Celle qui termine le Discours après la Cène, rapportée par saint Jean, est comme le Testament spirituel du Seigneur, dont se sont inspirés tant de saints (1), d’où son extrême importance.

Cette prière filiale est prononcée au Cénacle (1 bis), et à haute voix, afin que les disciples entendent et se laissent imprégner par la prière de « leur Maître et Seigneur », modèle de toute relation à Dieu. Pourtant cette prière prononcée dans l’intimité du Cénacle ne leur est pas réservée, elle est appelée à retentir dans le cœur de tout disciple du Christ, jusqu’aux extrémités de la terre, de génération en génération.

Pour l’ensemble du chapitre 17, elle peut se résumer par les mots suivants : Gloire, fidélité, vérité et unité. Dans le passage retenu aujourd’hui, Jésus valorise surtout les mots unité et fidélité. C’est sa demande insistante au Père pour les siens.

Lors de la Résurrection de Lazare, n’a-t-il pas dit que le Père l’exaucerait toujours (2). Notre époque ferait-elle exception en ne bénéficiant pas de cette intercession efficace du Fils auprès du Père. Deux millénaires d’Histoire de l’Eglise témoignent du contraire : Christ Jésus a accompagné les joies et les peines de tous les siècles de l’Eglise, de chaque baptisé, de l’humanité entière.

Cette fidélité et cette unité concernent des hommes, ces êtres pourtant faillibles, portés assez facilement à l’infidélité et à la division. Cependant cette demande de fidélité et d’unité du Seigneur pour ses disciples subsistera toujours dans l’Eglise, quand bien-même ce fût parfois qu’imparfaitement. Et nous pouvons l’observer sans cesse (dans l’Histoire de l’Eglise) : les périodes de relâchement et de rupture seront toujours suivies de réveils, de prises de conscience du scandale que représentent ces manquements au commandement du Seigneur (celui de l’Amour).

Et plus encore, ce que Jésus ne demande pas explicitement au Père sera donné : à savoir, le désir de retrouver la fidélité perdue, de reconstituer l’unité rompue. Et en effet, à chaque époque de crise, des chrétiens, suscités par l’Esprit Saint surgiront, se lèveront, tels des prophètes, pour restaurer l’Unité dans « le Corps du Christ qui est l’Église ».

Déjà, remarquons-le, une rupture s’est produite dès le début de l’Église : l’élection de Matthias, relatée dans la 1re lecture (3) a eu pour but, précisément, de reconstituer l’unité rompue par la défection de Judas (notons que cette trahison a lieu « au Soir de la Cène », alors que Jésus est encore parmi les siens). Serait-ce exagéré de rapprocher la trahison de Juda de toutes les infidélités survenues dans l’Eglise depuis ses origines ? La tentation serait grande de trouver cela excessif ! Pourtant, dans sa prière sacerdotale, Jésus fait lui-même ce rapprochement (4). Force est de constater qu’au cours de l’Histoire, des chrétiens se sépareront et se considèreront mutuellement comme traîtres par rapport au message reçu du Seigneur. Pire encore, nous savons qu’à plusieurs reprises les divisions atteindront les sommets de l’horreur : s’entretuer. De même, ces divisons ont conduit à des reflux de la foi chrétienne en diverses régions du monde (5). Quelle que soit la responsabilité de chacun, la parole inspirée de saint Jean rappelle la condition essentielle pour reconstituer l’unité dans l’Eglise et vivre dans la fidélité aux enseignements du Seigneur : « Mes bien-aimés, puisque Dieu nous a tant aimés, nous devons nous aimer les uns les autres ».

Jésus prie donc pour l’union des siens ; et sa prière, (avant que ne descende l’Esprit Saint à la Pentecôte) fait de ce dimanche, tout particulièrement, « un Jour pour l’Unité » (6). Après tant de siècles de divisions, certains chrétiens seraient tentés de désespérer d’un plein retour à l’Unité entre les disciples du Christ ; ou, pire encore, que le souci de cette question est une mode ! Il n’en est rien puisque la demande vient de Jésus lui-même, et que, plus est, il exprime cela dans le contexte d’une supplication insistante au Père. C’est dire si, pour un baptisé, (en considérant l’origine quasi divine de cette demande) cette question de l’unité n’est nullement optionnelle ou facultative, mais un passage obligé, puisque Jésus l’a expressément désirée, demandée. En s’adressant ainsi à son Père à propos de l’unité de ses disciples (noyau initial d’unité) le Christ (que Paul nomme « Notre Réconciliation »), sait qu’il a reçu en partage une humanité « une et indivisible » (qui ne devrait être sujette à la division). En se faisant l’un de nous pour notre salut, et notre Réconciliation avec Dieu, les nations lui ont été données en héritage, et la terre entière pour domaine. Un œcuménisme (la restauration d’une pleine Communion entre les baptisés) n’est vraiment chrétien que si l’Unité à refaire est vue dans cette perspective élargie à l’infini du plan de Dieu (la réconciliation avec l’humanité). N’est-ce point à cette perspective que correspond l’expression du même saint Paul en Ephésiens 1, 9-10 : « (Dans le Fils), le Père nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : récapituler toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme terrestres ». Cette persévérance du Père à son dessein bienveillant est comme un écho du psaume 32, qui disait déjà : « Le Seigneur a déjoué les plans des nations (6 bis)… Le plan du Seigneur demeure pour toujours, les projets de son cœur subsistent d’âge en âge ». L’unité vraie est ce lien tressé de plusieurs fils dont le Sage inspiré (7) nous dit qu’il ne peut être facilement rompu (Qo 4, 12). Ces fils, Jésus nous donne le nom de deux d’entre eux : vérité, fidélité (7 bis).

Enfin, avec la 2e lecture, voici Jean qui arrive. Durant tout le temps pascal, il n’a cessé de scander les lectures de son thème unique, presque sans variations : l’Amour… dont il a fait une sorte de refrain, de réponse universelle, et qu’aujourd’hui encore il propose au problème de l’unité (8). Dans la vie nous constatons souvent que « les personnes qui ont réponse à tout » deviennent vite insupportables. D’où vient donc que lui, Jean, lorsqu’il revient invariablement à l’Amour (comme solution au mal) ne nous fatigue jamais ? C’est que sa réponse ne vient pas de lui : il l’a puisée dans son écoute de Dieu, dont il a recueilli tous les échos, lui qui avait penché sa tête tout contre le Cœur du Seigneur Jésus au soir de la Cène ; et l’écoute des battements du Cœur du Christ ne cessent de lui dire le secret de l’Unité (de sa réussite) comme de toute réalité spirituelle, humaine, relationnelle : « DIEU EST AMOUR ». « Injectons » Dieu Amour en toute situation, et tout ira mieux. Et qui pourrait se lasser d’entendre cette Parole consolante ? Se lasser d’aimer, c’est-à-dire de travailler à l’Unité (qui se maintient par l’Amour), supposerait, paradoxalement, que la Charité cesse d’être en mouvement. Or, l’Amour du Christ (qui est Vie) n’attend pas, il nous presse d’aimer et de nous réconcilier avec Dieu, et dans ce même élan, de vivre réconciliés avec nos frères.

En ce jour qui nous est donné de voir Jésus tourné vers le Père, laissons-nous irriguer par l’Amour : le Christ Lui-même, « Parole éternelle du Père », descendue chez nous, puis remontée auprès de Lui, … mais toujours vivante et agissante (opérante) en nous, grâce à L’Esprit Saint qu’il nous a envoyé pour prolonger son œuvre : aimer, servir, et « faire aimer l’Amour » vivant de Dieu, source de notre Unité. Amen.

Notes : (1) Cf. poésie 17 de sainte Thérèse de l’EJ (« Vivre d’Amour, 26 février 1895) : « Au soir d’Amour, parlant sans parabole / Jésus disait si quelqu’un veut m’aimer / toute sa vie qu’il garde ma Parole, mon Père et moi viendront le visiter » (l’instruire). (1 bis) « La chambre haute », ou anagaïon, en grec (2) « Père, je te rends grâce de m’avoir écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours » (Jean 11, 41b-42a) (3) L’élection de Matthias, fêté avant-hier, le 14 mai. (4) « Père, quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture soit accomplie » (Jean 17, 12). (5) La séparation avec l’Eglise d’Alexandrie, l’isolement de celle-ci suite au Concile de Chalcédoine (451) faciliterait, peu après le déferlement des armées musulmanes en Egypte et jusqu’en Afrique du Nord. De même la rupture avec l’Eglise de Constantinople (et la naissance de l’Eglise orthodoxe) favorisera l’expansion ottomane en Asie mineure et en Grèce… (6) Nous pourrions presque dire que chaque année il y a un acte inter-Eglises qui est « la Semaine de l’Unité des chrétiens » (en janvier), et un dimanche annuel (intra catholique), ce 7e dimanche de Pâques, qui, à travers l’interpellation du Christ-Jésus, en cet évangile, fait de ce dimanche comme un « Jour consacré au souci de l’Unité des chrétiens »… à retrouver. (6 bis) Et dans la situation qui nous intéresse : les ambitions, « les folies » de chaque Eglise. (7) « Là où un homme seul est renversé, deux (autres) résistent, et le fil (devenu) triple ne rompt pas facilement » (Qo 4, 12). (7 bis) L’unité étant malmenée, « les fils de la vérité et de la fidélité » viennent en quelque sorte à son secours pour la fortifier. (8) Qu’il propose au problème de l’unité, … ou comme remède constant aux situations de division.

Fr. Gérard-Marie, ocd - (couvent d’Avon)
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