Textes liturgiques (année A) : Ac 2, 14.22b-33 ; Ps 15 (16) ; 1 P 1, 17-21 ; Lc 24, 13-35
Sécurité et liberté, voilà deux termes qui expriment les aspirations profondes de tout être humain. Pourtant nous savons bien qu’ils peuvent entrer en conflit. Au nom de la sécurité, les libertés sont restreintes tandis que le contrôle social devient omniprésent. Au nom de la liberté, la sécurité est menacée, la revendication d’une autonomie sans limite et du droit de tout choisir dissolvant le lien social. Le Bon Berger de l’Évangile concilie ces deux dimensions. Il entre dans l’enclos par la porte, sans exercer d’emprise sur les brebis, tout en confortant leur sentiment de sécurité. Il peut alors les appeler à la liberté en les conduisant au dehors en toute sécurité. La confiance en l’amour de celui qui est venu pour que les brebis aient la vie, et la vie en abondance, permet de vivre en sécurité dans la liberté.
Jésus se présente non seulement comme le Bon Berger, mais aussi comme étant lui-même la Porte par laquelle les brebis doivent passer pour exercer leur liberté en toute sécurité : il est en effet le passage qui conduit à la Vie en plénitude tous ceux et celles qui reconnaissent en lui leur Sauveur. Le suivre, c’est vivre ainsi une existence pascale dans laquelle chaque mort peut devenir un chemin de vie. Le suivre, c’est oser la confiance jusque dans les temps de crise en réponse à l’appel exclusivement personnel entendu au plus intime de soi : le berger connaît ses brebis et appelle chacune par son nom. Il ne les convoque pas en vue d’un service à rendre, mais il se met à leur service jusqu’à donner sa vie pour elles. Entendre ainsi la voix du Bon Berger prononcer son propre nom, c’est pouvoir lui répondre « me voici » ; c’est vivre cette authentique liberté qui consiste, non pas à choisir parmi une multitude d’options possibles, mais à pouvoir se donner soi-même entièrement et pour toujours en un unique choix. Lorsque cette voix résonne dans notre sanctuaire intérieur, nous reconnaissons alors celui que nous espérions sans le savoir. De même que le Christ ressuscité est entré le jour de Pâques dans la chambre haute où les apôtres se tenaient enfermés, de même il entre en notre cœur pour nous communiquer la paix que lui seul peut donner.
Rencontrer le Ressuscité, c’est entendre sa voix capable de susciter une confiance totale en celui qui est fidèle jusqu’au don de sa Vie. Croire en Jésus ressuscité, c’est écouter cette voix intérieure qui s’adresse à nous d’une manière unique, non pas pour nous dire quelque chose, mais pour nous faire vivre de sa Vie moyennant notre réponse à son appel. La mention de la voix plutôt que de la parole souligne qu’il ne s’agit pas ici d’un message, mais d’une relation intime avec quelqu’un. Nous reconnaissons immédiatement à sa voix une personne que nous aimons. Indépendamment de ce qu’elle dit, nous sommes alors déjà en relation avec elle. Jésus n’est pas venu pour nous donner des directives. Il s’offre pour être avec tous ceux et celles qui entendent sa voix et le suivent. Entendre sa voix, c’est reconnaître en nous sa présence vivante ; c’est pouvoir lui répondre en prononçant son Nom à notre tour d’une manière unique et personnelle. Répondre à son appel, c’est pouvoir l’appeler « Jésus » au profond de son cœur et se laisser entraîner à sa suite sur un chemin de Vie. Tel est le sens de toute vocation chrétienne : entendre à l’intime de soi la voix du Bon Berger et se mettre librement à sa suite par amour pour lui.
C’est une expérience de vie, car Jésus nous rejoint jusque dans nos blessures et dans nos morts. Il le fait avec une délicatesse extrême, car lui seul peut nous toucher au plus sensible de notre être. Lui dont la puissance est infinie, il prend soin de nos fragilités avec une douceur non moins infinie ; il a le pouvoir divin de se perdre lui-même pour nous rejoindre dans notre néant et nous donner en abondance la vie reçue du Père. Le Seigneur ne vient donc pas pour décider de notre vie à notre place, mais pour être inconditionnellement avec nous sur un chemin de vie. Qu’il nous fasse la grâce de reconnaître sa voix pour nous laisser guider par lui vers la Vie en plénitude. La fidélité à cet amour dont il nous aime est le fondement de toute sécurité et de toute liberté. Nous suivons le Bon Berger en toute sécurité parce qu’il est le Dieu fidèle qui ne nous abandonnera jamais. Nous suivons le Bon Berger en toute liberté, parce qu’il est la Porte vers l’inépuisable amour qui est Vie éternelle.