Textes liturgiques (année B) : Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24 ; Ps 29 ; 2Co 8, 7.9.13-15 ; Mc 5, 21-43
« Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » Si l’auteur du livre de la Sagesse le dit de façon aussi claire et forte, c’est que c’était nécessaire de le faire. Le scandale de la mort traverse la Bible de bout à bout comme il bouleverse chacune de nos existences. Plus précisément, c’est la mort des justes qui interroge nombre de textes de l’Ancien Testament : comment se fait-il qu’ils meurent eux aussi après avoir mené une vie si admirable ? Un même sort est-il réservé aux bons et aux méchants ? L’auteur du livre de la Sagesse relit donc les premiers chapitres de la Genèse pour affirmer que la création est bonne, que l’être humain est destiné à la communion avec Dieu et que la mort n’est pas l’œuvre de Dieu mais la conséquence du péché. Le virus de la jalousie du diable transmis à Adam et Eve a conduit notre humanité à la mort. Si nous l’avions quelque peu oublié, la pandémie actuelle se charge bien de nous le rappeler de façon dramatique.
L’évangile ne nous fait pas échapper à cette réalité implacable. Il nous raconte la mort d’une jeune fille de douze ans et l’effet que cela a sur son père et sa famille. Il nous raconte également une mort plus discrète mais non moins réelle, celle d’une femme qui depuis douze ans également n’a plus de vie sociale. Sa perte de sang la rend de fait impure au regard de la société de son temps ; elle vit donc une expérience d’exclusion sociale qu’aucun remède médical semble atténuer. Pire ses recherches pour en sortir ont aggravé son état de santé et lui ont fait perdre tous ses biens ; elle vit en quelque sorte comme une morte vivante. Voilà donc deux situations bien différentes de morts, avec le drame qui les accompagne.

Que fait Jésus face à ces deux situations qui lui tombent dessus coup sur coup ? Tout d’abord remarquons qu’il ne fait pas de discours. Il ne cherche pas à consoler faussement le père de la jeune fille. Il ne se lance pas non plus dans un discours théologique pour expliquer l’origine de la mort ou du mal. C’est important de le souligner car nombre de chrétiens tombent dans ces travers de l’explication ou du déni de la réalité de la mort. Face à la souffrance des personnes, les discours creux ou les paroles aseptisées (ce n’est pas grave, cela va passer) sont insupportables. Il suffit de relire les discours des amis de Job pour s’en convaincre.
Jésus donc ne parle pas mais il passe à l’action. Mais il ne peut le faire qu’en invitant un nouvel acteur à entrer en jeu : la foi. Il s’agit bien d’un acteur puisque la foi est déclarée par Jésus comme le sujet de l’action de guérir et de sauver. « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. » C’est en effet la foi qui met en route cette femme désespérée et lui donne l’audace de se mêler à la foule et de toucher le vêtement de Jésus. Il en fallait de l’audace car elle bravait ainsi la loi en risquant de communiquer son impureté aux autres. Et c’est pourquoi elle avait bien le droit d’être toute tremblante quand Jésus demandait à la foule qui l’avait touché. Craignait-elle alors d’être condamnée ? Mais de nouveau sa foi lui a permis d’aller au bout de sa démarche et de dire à Jésus toute la vérité. C’est cette même foi qui permet à Jaïre d’espérer malgré le scepticisme des gens de sa maison. Admirons d’ailleurs la délicatesse de l’annonce du décès de sa fille et l’invitation à la résignation : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? » Et Jésus de répondre : « Ne crains pas, crois seulement. »
Crois seulement ! La seule condition pour affronter la mort, c’est la foi ! Et de fait, c’est ce que Jésus va nous laisser en héritage. Jésus, comme vrai homme, n’a pas non plus échappé à la mort. Il a eu beau ramener Lazare à la vie pour un temps, celui-ci a fini par mourir. Mais Christ est sorti vivant du tombeau et l’Esprit Saint nous a été donné pour que nous croyons en la Résurrection de Jésus et de la nôtre. La foi est la seule réponse au scandale de la mort. La foi ne minimise pas l’horreur de la mort mais elle la traverse car elle entrevoit un au-delà de la séparation des corps. Le dessein de Dieu n’est pas anéanti par la mort corporelle. L’Amour est éternel et recrée nos corps mortels en corps de gloire.
Il est d’ailleurs frappant de voir dans l’évangile l’importance du corps pour exprimer la foi. Jaïre comme la femme se jettent aux pieds de Jésus. Si le chef de la synagogue demande une imposition des mains, Jésus s’en tiendra à prendre la main de la jeune fille pour la redresser. Le toucher est aussi fondamental dans l’acte de foi de la femme qui atteint le vêtement de Jésus. Et tous deux semblent profondément reliés à leur corps puisqu’elle ressent dans son corps la guérison tandis que Jésus perçoit qu’une force est sortie de lui. Enfin la célébration de la vie s’achève dans un repas, rituel symbolique pour conjurer la mort. Nous voyons à quel point la foi se dit par le corps. Souvent nous sommes piégés par une approche trop cérébrale de la foi, en risquant de la réduire à des idées ou des valeurs. Or l’Église catholique nous rappelle que Dieu se donne à nous par le corps, à travers les sacrements. L’eucharistie est à cet égard la source et le sommet de notre vie chrétienne. Elle rassemble les corps individuels que nous sommes pour former ensemble le corps du Christ.
Oui dans le Christ, nous ne formons qu’un seul corps et saint Paul nous en rappelle la conséquence pratique : nous sommes responsables les uns des autres. Nous devons prendre soin de la situation matérielle des autres communautés chrétiennes. En résumé nous sommes responsables du corps des autres. Malheureusement la crise des abus démontre que nous ne vivons pas à la hauteur de notre appel. Mais cette importance de la présence corporelle doit en tout cas nous rappeler que rien ne remplace la célébration eucharistique. La messe en distanciel n’est pas une eucharistie au sens propre, même si c’est plus confortable. Puissions-nous en cette période estivale retrouver le sens d’une foi incarnée, concrète, une foi qui célèbre, qui se donne et qui reçoit. Ainsi nous participerons déjà la de vie de Dieu et nous traverserons ensemble la mort. Faisons donc nôtres les paroles du psalmiste : « Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi, et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce ! » Amen